Nous avons vu que les structures dissipatives s’auto-organisent en décrivant des cycles de Carnot autour d’un point critique, point d’équilibre dynamique entre des forces opposées. Dans le cas de l’économie, il s’agit d’un point d’équilibre entre l’offre et la demande. Tandis que l’offre incite à la compétition, la demande incite à la coopération. Il s’en suit que, comme un moteur à quatre temps, l’économie passe par quatre phases successives appelées: dépression, expansion, stagflation et crises.
Dans mon billet 93, j’ai décrit ces quatre phases telles que je les ai moi-même vécues. J’ai pu les vivre à cause de l’extraordinaire accélération de l’Histoire. Aujourd’hui, je les présente telles que les économistes les ont historiquement vécues. L’évolution passée ayant été nettement plus lente, chacun d’entre eux a décrit des phases différentes suivant l’époque à laquelle ils vivaient. Il n’est donc pas étonnant que leurs visions diffèrent.
On s’accorde en général pour dire que le premier à avoir décrit une économie de marché est Adam Smith. Il vivait au 18ème siècle, une époque au cours de laquelle l’économie anglaise allait prendre son essor. C’est pourquoi Adam Smith a décrit une économie en phase d’expansion. Il est le chef de file d’une famille d’économistes dite classique, devenue ensuite néo-classique, pour laquelle la valeur d’échange domine. Nous avons vu que les lois de cette économie s’apparentent à celles des gaz parfaits. C’est donc l’économie la plus simple. Il était naturel de commencer par celle-là.
Au 19ème siècle, le développement économique accroit les inégalités de richesses provocant des troubles sociaux. L’Europe traverse une phase de crise. En France, c’est la révolution de 1848 à laquelle participe le philosophe allemand Karl Marx. Il la décrit en détail. Marx réalise que la loi de l’offre et de la demande s’applique aussi aux travailleurs. Il y a un marché du travail et celui-ci exploite les travailleurs. Marx devient le chef de file d’une famille d’économistes dits marxistes.
Au 20ème siècle, apparait une nouvelle crise d’une gravité sans précédent: c’est la première guerre mondiale. Elle affecte tous les pays développés. L’économie mondiale en sort exsangue. Tout est à reconstruire, mais cela coûte cher. Si les paiements courants se font en «argent», ceux entre États se font encore en or véritable. Bientôt les réserves mondiales en or s’avèrent insuffisantes. Les pays occidentaux entrent dans une phase de dépression. C’est la grande dépression de 1929. L’économiste anglais John Meynard Keynes réalise que le «métabolisme» mondial est en panne faute de catalyseur: la monnaie, mais créer de la monnaie provoque de l’inflation, d’où la nécessité d’accords internationaux. Ce sont ceux de Bretton Woods. L’or devient un étalon secondaire. Keynes est considéré comme le chef de file d’une famille d’économistes dits keynésiens.
Keynes n’a pas été le seul économiste à s’intéresser aux crises économiques. Pour la majorité d’entre eux, la monnaie est secondaire. Fondamentalement, les crises sont dues au conflit entre le capitalisme et le communisme. L’issue du conflit dépend de la manière dont le conflit, est géré par les institutions, aussi les nomment-on les institutionnalistes. Ainsi la crise de 1929 a été suivie d’une deuxième guerre mondiale, puis d’une nouvelle phase d’expansion. En 1971, l’économie stagne à nouveau. L’étalon or est définitivement supprimé, mais c’est sans effet. On parle déjà de «stagflation». Les pays occidentaux n’ont pas d’autre issue que de libéraliser encore davantage leur économie. En 1989 le mur de Berlin tombe. Peu de temps après le bloc soviétique s’effondre. C’est, semble-t-il, la victoire du capitalisme.
L’année 2007 marque l’arrivée d’une nouvelle crise dite des «subprimes». Les pays occidentaux entrent dans une nouvelle phase de stagflation. Les économistes la redoutent car ils n’en connaissent pas de véritable remède. Contrairement aux phases de dépression, la recette de Keynes ne marche pas: créer de la monnaie produit de l’inflation sans arrêter la stagnation, d’où le nom de «stagflation». Dans mon prochain billet, je parlerai de Joseph Schumpeter et de sa «destruction créatrice».