Dans son livre « Leur grande trouille », dont je recommande la lecture, François Ruffin met en doute la doctrine de libéralisation des échanges commerciaux et évoque la possibilité de réintroduire un certain protectionnisme entre les nations, y compris à l’intérieur de l’Europe. Que nous enseignent les lois de la thermodynamique sur ce sujet?
On peut le comprendre intuitivement à partir d’exemples. Si l’on en trouve en biologie, les illustrations les plus simples sont données par la dynamique des fluides. Dans mon livre « Thermodynamique de l’évolution » (1), j’ai pris l’exemple d’un écoulement dans un tuyau (section 16.2.1).
Pour maximiser le flux des échanges commerciaux, les économistes ouvrent tout grand les frontières. L’équivalent pour un fluide est d’élargir le diamètre L du tuyau. L’expérience montre qu’au delà d’une certaine valeur de L, l’écoulement devient turbulent. Il s’agit là d’une transition de phase. Elle se produit en un point critique caractérisé par le nombre de Reynolds R = L.u/ν où u est la vitesse de l’écoulement et ν la viscosité du fluide.
On peut s’attendre à ce qu’il en soit de même en économie. En ouvrant les frontières, les économistes provoquent le passage à une phase chaotique. En dynamique des fluides, on évite ce passage en introduisant des brise-jets. L’équivalent en économie est l’introduction de contraintes dans les échanges, c’est-à-dire de mesures protectionnistes.
Pour améliorer les performances de votre voiture, les ingénieurs contrôlent le flux de l’air en donnant à sa carrosserie un profil aérodynamique. De façon similaire, pour améliorer les performances de l’économie, les économistes devront apprendre à contrôler les flux de marchandises de façon à éviter le chaos. De même que les performances d’une voiture sont optimales au voisinage du nombre de Reynolds critique, de même il existe un point critique au voisinage duquel l’auto-organisation d’une société est optimale. C’est le processus de transition de phase décrit dans mon livre (section 3.2). Aujourd’hui nos sociétés ont largement dépassé le point critique, ce qui les amène au bord de l’effondrement. Il est grand temps de revenir au voisinage du point critique.
Dans mon livre (section 16.3), je montre que la vie se comporte comme un moteur thermique. Pour produire du travail mécanique elle prend de la chaleur à une source chaude, le Soleil à 6.000°K, et en rend une partie à une source froide, le ciel nocturne à 3°K. On sait que les premières machines à vapeur étaient instables. C’était en particulier le cas du moteur de Newcomen. Il avait tendance à s’emballer puis à ralentir fortement (2).
On retrouve le même phénomène en économie. Les économies libérales sont intrinsèquement instables. Elles se développent puis s’effondrent pour reprendre à nouveau. Les économistes parlent de cycles économiques. Depuis l’antiquité on constate l’existence de périodes dites de vaches grasses suivies de périodes de vaches maigres.
Dans le cas des moteurs, James Watt a résolu le problème grâce au régulateur à boule. Dans ma jeunesse, toutes les locomotives à vapeur en étaient équipées. On attend les économistes qui développeront l’équivalent du régulateur à boule pour l’économie. Il leur faudra convaincre les partisans actuels de l’économie libérale qui croient encore qu’une économie peut fonctionner de manière optimale sans aucune régulation.
(1) François Roddier, Thermodynamique de l’évolution, Parole éd. (2012).
(2) L’équivalent en biologie, c’est l’instabilité proies-prédateurs décrite par les équations de Lotka et Volterra. Dans une machine de Newcomen, la vapeur se comporte formellement comme une proie tandis que la machine joue le rôle du prédateur.
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