Avec le printemps, les élections approchent d’abord municipales puis européennes. Tout citoyen conscient de ses devoirs s’interroge sur la meilleure façon de voter. Comment allons-nous prendre nos décisions?
Les opinions politiques font partie de la culture de chacun. Une composante importante est liée à l’éducation donc de nature héréditaire. Un enfant d’ouvrier aura naturellement tendance à voter à gauche, tandis qu’un enfant de chef d’entreprise votera plutôt à droite. L’environnement a également de l’importance. Contrairement aux gènes qui se transmettent seulement verticalement à travers l’hérédité, les « mèmes » de Dawkins, c’est-à-dire les idées, se transmettent aussi horizontalement, sous l’influence de notre entourage. Dans mon livre sur la thermodynamique de l’évolution, je montre que le modèle d’Ising s’applique à la propagation des croyances. Il s’applique donc tout particulièrement à la propagation des opinions politiques.
Nous avons vu qu’en biologie la sélection naturelle favorise les gènes qui maximisent la dissipation d’énergie. On s’attend donc à ce qu’en sciences humaines elle favorise les idées associées à une forte dissipation d’énergie. Celle-ci est directement liée à la richesse. Plus on est riche, plus on dissipe de l’énergie. La sélection naturelle va donc favoriser la propagation des idées des gens riches. Ceci est particulièrement flagrant de nos jours où les gens riches contrôlent les média (1).
Parmi les idées ainsi imposées par les gens riches figurent en tête la notion de libéralisme et la nécessité de la croissance économique. La croissance serait nécessaire pour endiguer le chômage, et le libéralisme indispensable pour assurer la croissance. L’humanité serait ainsi condamnée à une croissance économique sans fin conduisant à une dissipation de plus en plus rapide de l’énergie. Il convient d’examiner de près ces idées et de les interpréter à la lumière de la thermodynamique de l’évolution.
Le processus de criticalité auto-organisée de Per Bak implique que les sociétés humaines oscillent entre un mode d’organisation où la coopération domine et un mode où la compétion l’emporte. La transition a lieu en un point dit critique pour lequel la température (2) de l’économie atteint une certaine valeur critique. En dessous de la température critique, de vastes domaines d’Ising se forment à l’intérieur desquels des individus, partageant les mêmes idées, coopèrent entre eux pour améliorer leur niveau de vie. Un niveau de vie critique est alors atteint à partir duquel les idées se mettent à différer. Les grands domaines d’Ising se décomposent alors en domaines plus petits entre lesquels la compétition s’instaure.
Ainsi, contrairement aux idées reçues, la compétition n’est pas toujours le meilleur moteur de l’économie. En dessous du point critique, la coopération est plus efficace. Le point critique est celui à partir duquel les grands domaines d’Ising économiques ne sont plus adaptés à l’évolution. Ils se décomposent en domaines plus petits parmi lesquels la sélection naturelle choisira les mieux adaptés au nouvel environnement. Seulement alors la compétition devient plus efficace.
Je donnerai comme exemple la situation à la fin de la dernière guerre mondiale. Très affaiblie, l’économie mondiale était en dessous du point critique. Deux grands domaines d’Ising se sont alors formés pour la restructurer. D’un coté l’occident, sous la domination américaine, favorisait les idées libérales et la compétition. De l’autre le bloc soviétique favorisait les idées communistes et la coopération. Lequel des deux a été le plus efficace?
Grâce à son avance technique, l’occident faisait exploser la première bombe à hydrogène en 1952. Dès l’année suivante, l’URSS le rattrapait pour le dépasser ensuite très rapidement. Dès 1957, l’URSS mettait sur orbite le premier satellite artificiel, puis envoyait un chien dans l’espace. Quatre ans plus tard, elle envoyait le premier homme sur orbite, faisant ainsi preuve d’une efficacité supérieure à celle de l’occident.
Les techniques se sont mises alors à évoluer de plus en plus rapidement. Le point critique a été atteint au début des années 60. Incapable de s’adapter à une évolution plus rapide, l’économie soviétique fut vite dépassée par l’économie occidentale. Le bloc soviétique s’est alors scindé en domaines d’Ising plus petits. En 1985 Mikhail Gorbachev lance la « perestroïka », c’est-à-dire la restructuration. Les pays satellites prennent alors chacun leur indépendance.
Moins structurée, l’économie occidentale résiste mais a de plus en plus de mal à s’adapter aux changements toujours plus rapides. C’est l’effet dit de la « reine rouge ». Ronald Reagan et Margaret Tatcher passent au néolibéralisme gagnant quelques décennies. Aujourd’hui l’économie occidentale stagne de nouveau, les dettes s’accumulent et le chômage devient endémique. Plus aucune croissance n’est possible. Pire, le climat se réchauffe, nos réserves de pétrole diminuent et notre alimentation est en danger. L’idée de décroissance fait peu à peu son chemin mais, aveugles à tous ces changements, les gens riches continuent à imposer leur idéologie de croissance conduisant la civilisation occidentale vers un effondrement catastrophique.
À la lumière de ces considérations, les pays de l’est semblent avoir pris une avance sur l’occident. Après un retour brutal au libéralisme, la Russie semble avoir aujourd’hui retrouvé un équilibre entre le capitalisme et le socialisme. De même la Chine mène une politique libérale tout en conservant une étiquette communiste. Cela va dans le sens d’une régulation de l’économie au voisinage du point critique (voir article 54). Faute d’avoir compris la nécessité d’une telle régulation, les États-Unis risquent de voir leur économie s’effondrer, entraînant celle de l’Europe avec elle.
(1) Un grand classique sur ce sujet est le livre « Manufacturing consent. The political Economy of the Mass media » de Edward Herman et Noam Chomsky, paru en 1988. Une traduction française « La fabrication du consentement. De la propagande médiatique en démocratie » est parue en 2008 aux éditions Agone.
(2) Voir l’article 49 sur la notion de température en économie.
Très intéressant, on retrouve la notion dialectique de thèse (grand domaine d’Ising) qui finit par faire apparaître des contradictions qui la fragmente : l’antithèse ; il devient alors nécessaire d’en élaborer une synthèse qui deviendra la nouvelle thèse, et ainsi évolue le monde …