Dans mon billet 100, je parle d’une prise de conscience globale des problèmes de l’environnement. J’ai déjà parlé de conscience dans mon billet 62. Je propose de préciser ici cette notion. Nous verrons plus tard comment la généraliser à l’ensemble de l’humanité.
Le problème de la conscience a fait couler beaucoup d’encre, notamment chez les philosophes. Beaucoup pensent qu’une notion aussi subjective ne saurait faire l’objet d’une étude objective. Avec les ordinateurs accomplissant aujourd’hui des tâches que l’on croyait réservées à l’esprit humain, les idées ont évolué. Un philosophe comme Daniel Dennett fait aujourd’hui davantage appel à la biologie et aux sciences dites cognitives. Des neurobiologistes comme Antonio Damaso ont largement montré que la conscience peut faire l’objet d’une étude objective. Ainsi Benjamin Libet a pu détecter des intentions avant que le sujet en soit conscient, mettant en question la notion de libre arbitre. Le sujet peut toutefois ne pas donner suite à ses intentions. En tant que physicien, je propose ici une interprétation physique de la notion de conscience.
Dans mes billets précédents, j’ai montré que le concept de réseau neuronal peut s’appliquer à toute structure dissipative considérée comme un ensemble d’agents échangeant de l’énergie et de l’information. On sait aujourd’hui que ces agents s’auto-organisent pour maximiser la vitesse à laquelle ils dissipent l’énergie. C’est apparemment le cas des molécules d’air dans un cyclone, des bactéries dans une colonie, des fourmis dans une fourmilière comme des neurones dans notre cerveau. C’est aussi le cas des sociétés humaines. Peut-on leur appliquer à tous le même modèle d’auto-organisation?
Je pense que oui. Le physicien danois Per Bak a montré que tous s’auto-organisent suivant un processus qu’il a baptisé « criticalité auto-organisée ». Avec Stassinopoulos, il a construit un modèle informatique de cerveau (1). Quoique très élémentaire, ce modèle fonctionne parfaitement. J’ai montré qu’il a les propriétés d’une machine de Carnot et peut se généraliser à n’importe quelle structure dissipative. Cela signifie que, fondamentalement, un cyclone et notre cerveau s’auto-organisent de la même manière. C’est ce qu’intuitivement nos ancêtres exprimaient en disant qu’un cyclone a une âme.
Aujourd’hui, notre civilisation matérialiste nous les fait considérer comme très différents. Nous disons en particulier que notre cerveau est conscient, tandis qu’un cyclone ne l’est pas. Mais qu’entend-on par conscience? Peut-on en donner une définition précise conforme à l’idée intuitive que nous nous en faisons? On désigne souvent sous le nom de robot tout appareil susceptible d’accomplir des tâches normalement réservées aux êtres humains. La cybernétique nous a appris qu’il n’est pas possible de construire un robot sans boucle de contrôle. Lorsqu’un robot envoie une commande à un moteur, des senseurs vérifient constamment que le moteur accomplit bien l’action programmée dans le robot et envoient, si nécessaire, des signaux indiquant la correction à effectuer.
Le modèle de cerveau de Stassinopoulos et Bak cherche à maximiser l’arrivée des « cacahuettes », mais ne comporte pas de boucle de contrôle. Lorsque ses actions ne déclenchent plus une arrivée de cacahuettes, il continue à effectuer des actions jusqu’à ce qu’il « découvre » par hasard la nouvelle action qui maximise l’arrivée des cacahuettes. Notre propre cerveau dispose-t-il de boucles de contrôle? On sait aujourd’hui qu’il en possède de très nombreuses. Il possède en particulier une boucle dite de rétroaction, plus globale que toutes les autres, que nous nommons la réflexion. Par lui-même, le mot « réflexion » évoque bien la notion de rétroaction.
J’ai dit plus haut que les neurobiologistes peuvent détecter des intentions dont nous ne sommes pas conscients et que ces intentions ne sont pas nécessairement suivies d’effet. Cela veut dire que nous réfléchissons avant d’agir. Il est facile de montrer que la réflexion est consciente. Beaucoup de gens parlent aujourd’hui plusieurs langues. Chacun peut dire dans quelle langue il réfléchit. Ayant vécu aux États-Unis, je peux dire que j’y ai très souvent réfléchi en anglais. Il m’arrive encore aujourd’hui de le faire, notamment lorsque je dois rédiger un texte dans cette langue. Ainsi, lorsque nous réfléchissons, un signal normalement destiné à l’élocution est renvoyé à notre propre système auditif. Bien qu’aucun son ne soit émis, nous nous parlons littérallement à nous-même.
Rien n’empêche d’ajouter une boucle de rétroaction à l’algorithme de Stassinopoulos. Le problème de cet algorithme est que lorsqu’il découvre une nouvelle façon d’obtenir des cacahuettes, il oublie la façon précédente. En ajoutant systématiquement au nouveau signal d’entrée une fraction du signal précédent, on prolonge sa mémoire du résultat des actions passées, ce qui logiquement améliore ses chances de réussite. J’ignore si cette modification a été tentée, mais il est clair que tout ce qui peut aider à mémoriser le résultat des actions passées ne peut être que favorisé par l’évolution, d’où l’évolution du cerveau humain.
Il est intéressant de noter que cette boucle de contrôle que nous appelons réflexion se fait essentiellement à travers le langage. Boileau disait: «ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement». C’est bien le développement du langage qui a permis à l’homme d’améliorer ses facultés de réflexion et de prolonger sa mémoire à long terme. En prolongeant encore davantage cette mémoire, l’invention de l’écriture a continué à améliorer sa faculté de réflexion. C’est ainsi qu’avant de prendre une décision, chacun d’entre nous utilise son expérience passée. Elle nous permet d’estimer au mieux le résultat de nos actions.
En termes techniques, cela s’appelle une inférence bayésienne. Le problème est que chacun d’entre nous a une expérience différente, ce qui fait que nos estimations sont différentes. Chacun d’entre nous a ses idées a priori. Il est intéressant de noter qu’à la suite des travaux de E.T. Jaynes, l’estimateur qui minimise l’information a priori s’appelle un estimateur d’entropie maximale. Le sous-titre de son livre posthume sur la théorie des probabilités est « la logique de la science ». On retrouve bien le fait que la science progresse grâce à l’entropie que l’humanité produit, c’est-à-dire à l’énergie qu’elle dissipe.
Comme l’avait vu François Rabelais, science sans conscience n’est que ruine de l’âme. Toute savoir implique le développement de cette boucle de contrôle que nous nommons la conscience. Le savoir est une information mémorisée dans le cerveau. Les êtres vivants mémorisent aussi de l’information dans leurs gènes. Si un savoir culturel implique une conscience culturelle, un «savoir génétique» doit impliquer une conscience génétique. Comme le préssentait Pierre Teilhard de Chardin, le développement de la conscience est un processus naturel et universel. Il pensait que même une pierre possédait en germe des éléments de conscience. En cela, je lui donne tort, mais j’irai volontiers jusqu’à dire qu’un thermostat possède un élément de conscience. En tant que boucle de contrôle, il est «conscient» de la température qu’il est en charge de maintenir.
(1) Dimitris Stassinopoulos and Per Bak, Democratic reinforcement: A principle for brain function. Phys. Rev. E 51, 5 (May 1995). Pour une description de leur modèle de cerveau, voir aussi le livre de Per Bak «How Nature Works» (traduit en français sous le titre: «Quand la nature s’organise»), ou mon propre livre «Thermodynamique de l’évolution» (section 9.3).
Vous dites « Rien n’empêche d’ajouter une boucle de rétroaction à l’algorithme de Stassinopoulos. Le problème de cet algorithme est que lorsqu’il découvre une nouvelle façon d’obtenir des cacahuettes, il oublie la façon précédente. En ajoutant systématiquement au nouveau signal d’entrée une fraction du signal précédent, on prolonge sa mémoire du résultat des actions passées, ce qui logiquement améliore ses chances de réussite. »
Pourtant le modèle de cerveau de Bak et Stassinopoulos que vous présentez en page 8 de http://www.res-systemica.org/afscet/resSystemica/vol12-msc/res-systemica-vol-12-art-03.pdf présente bien une boucle de rétroaction …
Faut-il comprendre qu’elle est ajoutée par vous ? Sinon pourriez-vous svp compléter le diagramme. Merci.
Les signaux de « sortie » du cerveau commandent des muscles en vue d’une action, par exemple les muscles de l’élocution (la parole). Lorsque nous réfléchissons, des signaux destinés aux muscles de l’élocution sont renvoyés à l’entrée « audition » de notre cerveau. Nous « entendons » dans notre tête des phrases que nous pourrions prononcer mais que nous ne prononçons pas.
Votre livre et votre blog est basé sur un troisième principe de thermodynamique qui impliquerait que les êtres vivants comme les civilisations s’auto-organiseraient de manière à maximiser leur production d’entropie comme le fait l’ouragan ou l’eau d’une casserole portée à ébullition.
A propos des êtres vivants et des civilisations il me semble que la conséquence au premier ordre serait des animaux en quête perpétuelle de nourriture ce qui est discutable mais de surcroît pour une civilisation comme la notre, cela signifierait la mise en place de systèmes autoritaires avec comme unique but le torchage des énergies fossiles (on s’en rapproche mais tout de même il y a une marge d’erreur non négligeable).
Il doit y avoir une « force antagoniste » de régulation au système permettant d’expliquer cela où bien une erreur dans le raisonnement. Je suis impatient de votre retour sur ce point. Merci
René Thom: « La synthèse entrevue des points de vue mécaniste et vitaliste en Biologie n’ira pas sans un profond remaniement de nos conceptions du monde inanimé. »
« On pourrait bien un jour s’apercevoir que ce ne sont pas les molécules qui font la vie, mais au contraire la vie qui façonne les molécules. »
« L’hypothèse réductionniste devra peut-être un jour être retournée: ce sont les phénomènes vitaux qui pourront nous expliquer certaines énigmes de la structure de la matière ou de l’énergie. Après tout n’oublions pas que le principe de la conservation de l’énergie a été exprimé pour la première fois par Von Maier, un médecin. »
Thom a tenté (entre autres avec Ruelle), sans succès, de relier thermodynamique et théorie des catastrophes.
Thom et Prigogine se sont assez violemment scientifiquement heurtés à propos du rôle du hasard, du déterminisme…
Thom: « L’animé sait exploiter les régularités naturelles pour stabiliser des connexions qui dans le monde inanimé seraient accidentelles, non génériques. Il y a donc là, en principe, une possibilité formelle de caractériser l’état de vie, problème qui a défié jusqu’à présent la pensée biologique. »
« Pour réellement théoriser la biologie il faut faire du rêve une fonction biologique, ce qui introduit l’imaginaire au coeur même de la dynamique biologique. Cet imaginaire serait alors consubstantiel au concret biologique, à la réalité biochimique. Nous verrons que ce pourrait bien être le cas. »
Thom à propos de la conscience:
« Tous nos actes de conscience élémentaire sont plus ou moins des déplacements. Nous essayons de saisir un objet et l’acte de saisir c’est l’étincelle de conscience primaire. l’espace vu de cette manière ressemble à une couronne, et le corps à un trou, situé à
l’intérieur de la couronne. Le trou est constitué par les points que nous ne pouvons pas atteindre. Et bizarrement il est rempli par la douleur et le plaisir. C’est pour moi une sorte de miracle. La peau est une sorte d’onde de choc qui sépare deux types de conscience, la conscience motrice à l’extérieur et la conscience essentiellement affective et cénesthésique à l’intérieur. »
Je vois beaucoup de points communs entre vos deux visions du monde, beaucoup plus que de différences. Vers une synthèse?
Et pour boucler la boucle de rétroaction:
Thom: « Chez les animaux supérieurs nous savons parfaitement qu’il y a apprentissage par l’affectivité: les choix malheureux conduisent à la douleur, les choix heureux au bien-être. A la sélection par la mort a succédé la sélection par l’affectivité. L’affectivité peut donc être vue comme une rétro-action du flux final ramifié sur la dynamique de commande des pré-programmes. Et je n’ai jamais compris pourquoi ces effets de rétroaction ne pourraient être transmis héréditairement (au niveau des modes de stimulation du génome, sinon sur la composition de l’ADN lui-même), ce que nie la biologie moléculaire classique. »
Mon livre et mon blog reposent sur la notion de criticalité auto-organisée de Per Bak. Les structures dissipatives maximisent leur production d’entropie grâce à des cycles d’itérations successives autour d’un point critique. En sociologie, cela implique une alternance entre des phases de croissance et des phases de restructuration.
Il me semble que la plante, ou plutôt le système sol – plante – atmosphère – énergie solaire fonctionne de cette manière.
95% de la matière sèche de la plante provient de l’atmosphère C N O H, 5% vient du sol (32 éléments plus ou moins répartis).
La majorité de l’énergie extraite par la plante sert à nourrir le sol 40% à 70% suivant les cas, la plus grande part de l’énergie dissipée par la plante pour 5% de matière sèche (vous avez dit entropie!)
Si on considère le fruit récolté comme l’énergie utile, j’entrevois le fonctionnement de la plante comme l’exportation de son entropie vers le sol ou l’atmosphère pour son évapo-transpiration, la grande partie de l’énergie dissipée sert à cette entropie.
Son entropie est recyclée par une infinité de cycles allant de celui des saisons jusqu’aux minuscules cycles bactériens ne durant que quelques secondes.
Dans une forêt il n’y a pas de fuite, par son ignorance l’homme exporte 10 tonnes de terre par an et par hectare. Cela n’a rien à voir avec les 70kg d’ions exporter par la forêt (et bien oui, les montagnes s’usent).
En détruisant ce système, l’homme se détruit lui-même et la question qui se pose avec urgence est de savoir comment faire réintégrer au système ce qu’on exporte en énergie utile (fruit pour notre usage) et en érosion.
Nous sommes là , il me semble, bel et bien en présence de cycles d’itérations successives autour d’un point critique.
Voir l’agriculture sur le plan de la thermodynamique de l’évolution me semble doc un choc culturel sans précédent.
Cette vision est encore à améliorer, mais votre livre et votre blog y aide beaucoup.
Je prolonge ici le parallèle Roddier/Thom.
1. Analogies
Tous deux en font un usage constant et massif. Cela leur permet de passer de l’économie à la psychanalyse, de la biologie à la linguistique, etc. C’est un procédé puissant que je n’ai vu nulle part ailleurs utilisé aussi systématiquement.
Thom: « Les situations dynamiques régissant les phénomènes naturels sont fondamentalement les mêmes que ceux qui régissent l’évolution de l’homme et des sociétés. ainsi l’emploi de vocables anthropomorphes en Physique est foncièrement justifié. »
Je crois que c’est aussi ce que pense fondamentalement Roddier.
Lors de son discours Nobel Konrad Lorenz a affirmé que « toute analogie est vraie », affirmation modulée par Thom en « toute analogie sémantiquement acceptable est vraie ». Sa théorie des catastrophes est une théorie de l’analogie. Et Thom a consacré beaucoup de temps à tenter d’expliquer ce qu’il entendait par « sémantiquement acceptable »:
http://strangepaths.com/forum/viewtopic.php?t=41
Pour Thom l’analogie fondamentale est l’analogie entre développement de l’embryon et développement de Taylor d’une fonction (dépendant de paramètres), analogie qui lui permet d’extraire du substrat biologique « le mécanisme formel qui, à mes yeux, commande toute morphogénèse ».
2. Principes fondamentaux
Tous deux pensent que les choses s’organisent autour de centres organisateurs, de points critiques. Roddier parle très souvent d’auto-organisation. Thom, à ma connaissance, jamais.
Pour Roddier le principe organisateur de la nature est le principe thermodynamique de production maximale d’entropie. C’est un principe quantitatif.
Pour Thom ce sont les principes de stabilité structurelle et d’économie: la nature choisit/essaye d’abord les dynamiques structurellement stables les plus simples. Ce sont des principes qualitatifs. Ainsi, pour Thom, le sexe mâle a la forme qu’il a parce que c’est la forme structurellement stable la plus simple permettant le transport des gamètes (la catastrophe ombilic parabolique est aussi appelée catastrophe champignon -phallus impudicus).
Rutherford (et Roddier?): « Qualitative is nothing but poor quantitative. »
Thom: « La physique a sacrifié la stabilité structurelle à la calculabilité. J’espère qu’elle n’aura pas à se repentir de ce choix. »
3. Dynamiques archétypes
Pour Thom c’est incontestablement la catastrophe « fronce », alias catastrophe de Riemann-Hugoniot, dynamique qu’il lie au lacet de prédation biologique.
Pour Roddier il me semble que c’est la dynamique illustrée par exemple par la figure du billet 93, la catastrophe étant représentée par la falaise de Sénèque.
Le modèle prédateur-proie de Thom diffère de celui de Lotka.
Dans la « fronce » il y a une partie de falaise en surplomb, surplomb qui n’existe pas dans la falaise de Sénèque. Thom en tire partie pour modéliser des situations de bimodalité. Par exemple en rapport avec ce billet, le cycle circadien, analogue psychique du lacet de prédation biologique, conduit Thom à une représentation du triage lacanien RSI (Réel, Symbolique, Imaginaire) dans laquelle le Symbolique est le domaine où signifiant et signifié interagissent. Il utilise ce même modèle pour donner une classification des sciences (différente de celle d’Auguste Comte, à laquelle ce billet 102 renvoie), les mathématiques dans l’Imaginaire, dans le rêve, puis dans l’ordre, la mécanique (entrée en bimodalité Symbolique), la physique, la chimie, la biochimie (sortie de bimodalité Symbolique), la biologie étant entièrement dans le Réel. La physique apparaît donc comme plus difficile que les mathématiques puisqu’il y a nécessité de mise en harmonie du signifié et du signifiant, du réel et de l’imaginaire. Cependant, pour Thom, c’est dans le rêve que s’initie la connaissance, pas dans le réel: « La rêverie n’est-elle pas la catastrophe virtuelle en laquelle s’initie la connaissance? »
On notera à ce sujet que « Symbolique » signifie étymologiquement « mis harmonieusement ensemble » (le fit anglais, alors que « Diabolique » renvoie à misfit). Je pense que notre civilisation est entrée en contre-civilisation (le Symbolique est devenu Diabolique) à la coupure galiléenne.
Logique
Je pense que le physicien est naturellement corseté par l’obligation de bimodalité qui lui impose de garder un pied dans le réel: il se doit d’abstraire (abstraire n’est pas mentir, disait Aristote), donc de raisonner par induction, déduction, abduction et il lui est difficile de sortir de ce schéma. Roddier (Thom aussi, bien entendu) le fait cependant en s’autorisant le raisonnement par analogie (comparaison redevient raison).
Le mathématicien* n’a pas cette pesante contrainte, il est plus libre.
Thom: « La mathématique est le jeu signifiant par excellence, par lequel l’homme se délivre des servitudes biologiques qui pèsent sur son langage et sa pensée et s’assure les meilleures chances de survie pour l’humanité. »
Thom platonicien: « En dépit de mon admiration pour Aristote, je reste platonicien en ce que je crois à l’existence séparée (« autonome ») des entités mathématiques, étant entendu qu’il s’agit là d’une région ontologique différente de la « réalité usuelle » (matérielle) du monde perçu; c’est le rôle du continu -de l’étendue- que d’assurer la transition entre les deux régions. »
Roddier aristotélicien?
* Je parle des mathématiciens qui rêvent leur mathématique (Thom, Grothendieck …) pour qui la rigueur n’est pas la préoccupation première, pas des « problems solvers » qui sont, quant à eux, corsetés par une logique draconienne.
Evolution
Thom est résolument lamarckien.
1. Transmission des caractères acquis: « On ne pourra que s’étonner, dans un futur pas tellement lointain, du dogmatisme avec lequel on a repoussé toute possibilité d’action du soma sur le germen, tout mécanisme « lamarckien ». »
2. La fonction crée l’organe: voir à 39’45 » http://www.ina.fr/video/CPC7606652202http://www.ina.fr/video/CPC7606652202
On notera que pour Thom ce postulat est une évidence sociétale. Et il étend à la biologie par analogie.
Pour Thom nous avons des yeux pour voir, des jambes pour marcher, … et nous rêvons d’avoir des ailes pour voler.
Il me semble que Roddier est plus darwinien (Darwin a tenté d’expliquer la transmission des caractères acquis par sa théorie des gemmules): nous voyons parce que nous avons des yeux… Il me semble que pour lui le hasard intervient beaucoup plus (et la finalité beaucoup moins) dans l’évolution que pour Thom. Quoique sa référence appuyée à Theilhard de Chardin dans ce billet…
Suite et fin.
La position de Thom en regard des rôles de la mémoire et de la réflexion dans l’évolution.
Selon Thom « Il y a des morphologies génériques, qui n’exigent qu’un concours « naturel » de circonstances pour se réaliser. De telles morphologies existent en embryologie. Elles ne sont pas « canalisées »; elles peuvent par suite s’expliquer par un schéma catastrophique. […] L’exemple du fleuve qui se canalise entre ses rives montre que les effets de canalisation peuvent apparaître naturellement après un temps assez long d’activité fonctionnelle. »
Mais « il y a également des morphologies qui exigent des contraintes non génériques sur le substrat, donc un effet du passé très strict, peut-être (mais pas nécessairement) attribuable à des structures moléculaires spécifiques. » Thom propose alors le modèle suivant: lorsqu’un organisme vivant réfléchit, il y a déformation (par l’affectivité) de la figure de régulation de son organisme (mathématiquement le « minimum simple » x² se complexifie en « fronce » x⁴, et le « pli » x³ en « papillon » x⁶, par effet du changement de variable x->x² qui traduit l’idée de réflexion. Et il en déduit un modèle du développement de l’embryon (phase blastula) par duplications itérées par réflexion du cycle d’hystérésis de la « fronce » par activité finalisée.
Ce genre de considérations peut-il se développer à partir du cycle de Carnot?
Remarque: il y a un rapport profond entre les catastrophes élémentaires de Thom et certains groupes de symétries (groupes de Coxeter, groupes de Weyl) (classification ADE des catastrophes élémentaires par le mathématicien russe Arnold) le pli est associé à A2, la fronce à A3, etc. Voir la fin du chapitre 5 de http://www.entretemps.asso.fr/maths/Livre.pdf où l’on découvre avec surprise que les solides platoniciens se mêlent à la fête.
Retour au Timée de Platon?
Timée: « on doit admettre comme vraisemblable que ce monde est un animal véritablement doué d’une âme et d’une intelligence par la Providence divine. »
Renvoi à la position de Theilhard de Chardin de ce billet?
Vous dites: « Dans la « fronce » il y a une partie de falaise en surplomb, surplomb qui n’existe pas dans la falaise de Sénèque ». Dans mon billet 89, la falaise de Sénèque apparaît comme un palier de condensation. Comme toute les transitions abruptes, les condensations requièrent des germes. En l’absence de germe il y a formation d’états dits « métastables » qui sont bien en surplomb de la falaise. J’en parlerai dans un prochain billet.
Je suis content de voir qu’il y a peut-être un terrain d’entente (sinon une synthèse) possible entre l’approche thomienne et la vôtre, terrain d’entente que j’appelle de mes voeux. J’attends votre prochain billet avec impatience. Mais les fondamentaux me semblent a priori éloignés. Quel rapport en effet entre les germes de fonctions différentiables des mathématiciens, les germes (de différenciation cellulaire?) des biologistes, les germes de conscience des cailloux de Teilhard et les germes dont vous parlez? Le physicien, naturellement en position métastable car à cheval entre réel et imaginaire, est-il le mieux ou le plus mal placé pour y répondre?
La vision de René Thom est centrée sur les mathématiques, essentiellement la topologie. Les mathématiques offrent des outils remarquables pour comprendre le monde, mais ne suffisent pas. En tant que physicien, je m’intéresse aux lois fondamentales de l’univers et à leur vérification expérimentale. Détournée vers l’infiniment grand et l’infiniment petit, la physique est aujourd’hui dans une impasse. Elle ne suffit pas non plus pour comprendre le monde.
Passés inaperçus, des progrès fondamentaux ont été accomplis par des physiciens qui se sont intéressés à la biologie. J’ai dû attendre d’être à la retraite pour m’y intéresser. Ce fut une illumination. L’extrapolation aux sciences humaines m’a paru évidente: nous sommes des animaux parmi beaucoup d’autres. Une meilleure compréhension du monde qui nous entoure ne peut venir que d’une recherche pluridisciplinaire.
Qui a dit qu’il y avait trois infinis, l’infiniment grand, l’infiniment petit, et l’infiniment complexe?
Je pense que votre oeuvre pourrait s’intituler « Principes thermodynamiques de la philosophie naturelle » et que celle de Thom aurait dû s’intituler « Principes mathématiques de la philosophie naturelle » (à la publication de « Stabilité structurelle et morphogénèse » Thom a d’ailleurs été salué comme un nouveau Newton).
Je pense que physiciens post-galiléens et mathématiciens sont co-responsables de la coupure galiléenne. Coupure que je vois non pas dans le passage du géocentrisme à l’héliocentrisme mais dans la réduction de la phusis aristotélicienne à la physique « moderne » qui postule l’imbécillité des choses (raison pour laquelle elle doit se cantonner à l’infiniment grand et l’infiniment petit?).
Vous dites que vous n’êtes plus le physicien de votre vie professionnelle et Thom, à partir des années 1960, dit qu’il n’est plus le mathématicien médaille Fields. Vous êtes tous les deux, selon moi, (re?)devenus alors des phusiciens.
Je suis convaincu que Thom et vous, sans peut-être l’avouer explicitement, êtes vitalistes, que l’emploi métaphorique de vocables anthropomorphes en phusique est pour vous foncièrement justifié. Par exemple un cyclone a une âme (un oeil), s’alimente, naît et meurt comme un être vivant (le phusicien peut donc nouer un dialogue beaucoup plus fructueux avec la Nature que le physicien moderne).
Vos approches me semblent cependant radicalement différentes. Celle de Thom est essentialiste (l’essence précède l’existence). J’ai du mal à cerner la vôtre. Existentialiste?
Pour moi la coupure galiléenne par réduction de la phusis à la physique moderne est l’acte de naissance de notre contre-civilisation. Toujours selon moi (pas que!) cette contre-civilisation est à bout de souffle. Elle est depuis quelque temps entrée en métastabilité. Il ne manque que le germe du nouvel état, de la nouvelle civilisation qui va lui succéder, pour que s’amorce la transition de phase (vraisemblablement catastrophique). Je suis convaincu que ce germe se trouve dans votre oeuvre et celle de Thom.
Je rejoins l’objection de Routaboul.
Je trouve que vous vous en tirez par une pirouette, les phases de restructuration ne pouvant, à mon sens, que masquer le fait que ce sont des phases pendant lesquelles le PEM ne s’applique pas: un principe qui tolère des exceptions n’est pas un principe.
Peut-être se trouve pas dans une situation analogue à celle du principe de moindre action en mécanique, principe équivalent au principe fondamental de la mécanique? La preuve de l’équivalence montre que la terminologie est impropre. Car n’est pas un principe de moindre action, c’est un principe d’action extrémale comme le montre le calcul des variations à la base de la preuve. PAE et non PMA.
PEE et non PEM?
Remarque: Dans certains cas simples (par exemple l’oscillateur harmonique) PMA=PAE. Mais ce n’est pas le cas général (quand le lagrangien n’est pas une fonction strictement convexe?). Apparaissent alors des singularités. Voir l’article de Thom « Quelques réflexions sur le formalisme hamiltonien » dans son recueil « Apologie du logos ».
http://www.nytimes.com/2016/12/12/opinion/can-evolution-have-a-higher-purpose.html?_r=0
Merci pour ce lien intéressant. Pour moi, la notion de finalité (purpose) est une qualité anthropomorphique. Toute loi, à fortiori statistique, peut donner lieu à une telle interprétation. Par exemple, le point Oméga du biologiste Teilhard de Chardin ou la main invisible de l’économiste Adam Smith.
Thom: « A mon avis, comme la mécanique quantique est une théorie statistique, elle élimine le temps en un certain sens. Toute théorie statistique qui dit des choses non pas sur un phénomène individuel mais sur un grand nombre d’épreuves, en principe en nombre infini, élimine le temps. »,
Or la notion de finalité ne peut bien évidemment se passer de celle de temps.
Petit commentaire sur l’article du NYT: après Trump, Teilhard futur homme de l’année?
Merci encore pour cet excellent article.
Des auteurs comme R.Dawkins et S.Blackmore ont développés des thèses particulièrement intéressantes sur le sujet.
Pour cette dernière la conscience serait un complexe de mèmes en compétition(« méméplexe ») d’où émergerait un structure d’information(« selfplexe »),la conscience.
Cela rejoint vos travaux. Les mèmes les plus efficaces pour dissiper l’énergie sont favoriser via la culture et « nous »(notre structure biologique)poussent à accomplir la plupart de nos activités en synergie avec l’information génétique.
Dès lors il devient aisé d’expliquer la plupart des phénomènes socio-économique à l’œuvre à travers l’histoire.
L’écocide actuel ne serait dès lors plus que la conséquence d’un troisième réplicateur(tème:mème technique) plus apte encore que les deux autres(gènes et mèmes) à dissiper l’énergie et à transformer notre environnement.
Cordialement.
À cet égard je constate (et regrette) que vous évoquez peu la question du mode de création monétaire et de son allocation entre les agents économiques. Sur ces deux points il serait intéressant d’approfondir votre équation d’équilibre entre potentiels de demande et d’offre : P * dV = T * dM. Dans le même ordre d’idée il serait intéressant d’identifier d’éventuelles analogies séminales avec la thermodynamique pour ce qui concerne la distinction entre facteurs de production travail et capital.
Selon mon analyse, la conscience résulte d’un apprentissage. Elle evolue au cours de la vie. Elle se construit par interaction avec les autres. Mon sentiment est que la conscience est l’intégration en soi de l’autre.
C’est ce processus qui explique que la conscience soit ressentie comme emprisonnee dans son corps.