Une société d’insectes, comme un essaim d’abeilles, ne peut se former que si les individus qui la composent ont tous des gènes communs, en l’occurrence les gènes de la reine qui est leur génitrice commune. Ce sont ces gènes communs qui assurent la cohésion de la société grâce au phénomène de sélection de parentèle. Par contre les mâles appelés faux bourdons communiquent à leurs descendants des gènes différents. En assurant la diversité génétique de l’essaim, ils permettent à la sélection naturelle d’agir sur son évolution.
On sait que, chez l’Homme, la culture joue le rôle des gènes (1). De la même façon, la cohésion d’une société humaine nécessite une certaine proportion de culture commune à tous ses membres. Cette culture commune ne peut être dispensée que par une éducation commune. Elle donne le sens d’appartenance à une même communauté, notamment l’usage d’une langue commune. Toutefois une société dont tous les individus partageraient entièrement une seule et même culture ne saurait évoluer. L’analogie avec les sociétés d’insectes nous incite à penser que la moitié de l’héritage culturel doit typiquement être diversifié.
Lorsqu’une société se réorganise, comme la France en 1789, sa culture évolue. Des penseurs comme Condorcet ont, à cette époque, réfléchi au rôle de l’enseignement. Une de ses thèses est que l’éducation doit se borner à l’instruction, c’est-à-dire à l’apprentissage de faits solidement établis, admis par tous, indépendamment de toute idéologie. En bon révolutionnaire, il rejette l’éducation religieuse à l’école. Celle-ci doit rester laïque et respecter l’indépendance des opinions sinon, elle peut porter atteinte aux droits des parents. On retrouve bien la même idée que l’héritage culturel doit être transmis en partie par la société et en partie par la famille. L’héritage de la société correspond aux gènes de la reine des abeilles. L’héritage de la famille correspond aux gènes des faux-bourdons.
Aujourd’hui l’évolution a été si rapide qu’on ne sait plus ni quoi ni comment enseigner. Avec les vidéos et les ordinateurs, les enfants n’éprouvent plus le besoin d’apprendre à lire, ni à compter. Les programmes du secondaire ne cessent d’être modifiés, tandis que le baccalauréat n’offre plus de débouchés. Notre système d’éducation nationale s’effondre. Les parents n’ayant plus le temps de s’occuper de leur progéniture, les enfants des plus pauvres restent sans éducation. Ceux des plus riches sont confiés à des écoles privées de plus en plus nombreuses. Aux inégalités de richesses s’ajoutent les inégalités culturelles. L’unité culturelle de la France se délite au profit d’une culture européenne calquée sur celle des États-Unis.
(1) François Roddier. Thermodynamique de l’évolution. Éditions Parole (2012).
L’abeille, c’est incroyable comme cet insecte nous en apprend beaucoup sur notre propre société. A se demander si cela relève d’un simple hasard ou plus, d’un étrange mystère…
J’ajoute que ce billet me réjouit, et à la fois me rend triste. Car M. Roddier, en ayant recourt pour illustrer votre démonstration à cette analogie avec une colonie d’abeilles, on devine plus encore en quoi – si elles disparaissaient – elles emporteraient avec elles une clé précieuse d’explication de la nature des choses…
Lire « L’abeille (et le) philosophe » Pierre-Henri et François Tavoillot, Odile Jacob.
la culture nous offrait un espace de liberté et de diversité qui se tarit. Nous devenons de braves consommateurs sommés de travailler pour consommer le standard et le conforme. Nous ressemblons de plus en plus à des insectes…
Parler de la culture des Etats-Unis est un raccourci trop rapide. La culture de ce pays change, comme toutes les autres. Mais c’est celle qui est, le plus, influencée, par les mouvements éloignés de l’équilibre thermodynamique. C’est une culture générée par la dissipation.
Le problème est que nous vivons dans une pseudo liberté où l’accès à la culture de qualité n’est pas évident. En même temps une culture « industrielle » de masse vient littéralement laver le cerveau des gens sur un fond de valeurs futiles et vaines.
Je vous donne un exemple, en France un musicien qui compose de la musique n’a pas le droit de percevoir de l’argent provenant de ses droits d’auteurs, pour une partie de ses œuvres seulement, tout en mettant une autre partie de sa production, librement et gratuitement à la disposition du public. Soit il est d’un côté ou bien de l’autre. Soit totalement libre mais en dehors du système, soit dans le système mais dans ce cas il ne dispose plus librement de ses œuvres et le don n’est plus permit.
Sur le point de l’unité culturelle française qui se délite, je ne vous suis pas. Elle se déliterait par rapport à quoi? La culture française est en perpétuelle évolution, comme sa langue. Elle ne survit que parce qu’elle est justement en contact permanent avec les autres cultures. Repliée sur elle-même, protégée à n’en plus finir comme les vignobles par leurs AOC, elle se déliterait pour de bon, comme ces vins sanctuarisés, concurrencés par des goûts étrangers plus adaptés à la demande. La culture française n’a jamais été aussi répandue dans le monde, et nos tristes attentats réveillent une compassion globale spontanée, preuve que nos gênes culturels sont encore bien partagés.
Je ne parle pas ici de la culture française dans le monde, mais de la part qui en est transmise à nos enfants à travers l’éducation. Celle-ci n’est plus ce qu’elle était et que, vu mon âge, vous n’avez sans doute pas connu.
Anecdote
Les professeurs de mon petit fils assez intelligent, qui travaille le minimum ont dit à ses parents qu’il a une Ferrari et qu’il fait du 20 à l’heure.
Je lui ai suggéré de leur répondre qu’il arrête de le faire rouler sur un chemin de terre.
Il m’a dit: Cool papy