Jean-François Toussaint préside le groupe de travail « adaptation et prospective » du Haut Conseil de la Santé Publique. Il m’a proposé d’y exposer mes vues sur l’évolution. La présentation a eu lieu le 18 octobre dernier. Gilles Boeuf, président du muséum d’Histoire naturelle, participait à la réunion. Parmi les sujets de préoccupations du groupe, l’effet de la perte de biodiversité sur l’avenir de l’humanité.
Sur l’attitude à tenir, les opinions divergent. Les progrès croissants des connaissances scientifiques et techniques incitent constamment l’Homme à mettre la nature à son service. Mais les faits ne cessent de tempérer ce comportement anthropocentrique. Depuis longtemps des écologistes comme l’américain John Muir (1838 – 1914) se sont fondamentalement opposé à toute forme d’instrumentalisation de la nature. Deux principaux courants se sont développés, l’un biocentrique défendant l’intégrité de tous les êtres vivants, l’autre écocentrique visant sutout à préserver l’équilibre des écosystèmes. Quel éclairage nous apporte les lois de la thermodynamique?
Vivante ou inerte, la matière est soumise à ces lois. Nous n’y échappons pas. La nature nous a doté d’un cerveau rationnel, le néocortex qui nous aide à prendre des décisions. Ces décisions sont cependant imposées par notre besoin de bien-être et celui-ci est perçu par notre cerveau limbique. Comme l’a montré Frederick Soddy, il est directement lié à la quantité d’énergie que nous dissipons. Fondamentallement, il est lié à notre besoin de nous nourrir et de nous reproduire, besoin lui-même imposé par notre cerveau reptilien. Ce dernier a été créé par nos gènes pour assurer leur survie, conformément à la théorie moderne du gène égoïste. La thermodynamique nous apprend que les molécules organiques dont sont faits nos gènes se sont elle-mêmes formées pour maximiser la dissipation de l’énergie. Ainsi, qu’on le veuille ou non, notre existence est entièrement conditionnée par notre faculté de dissiper de l’énergie.
Mais plus vite nous dissipons de l’énergie, plus vite nous faisons évoluer notre environnement et plus vite nous remettons en cause notre propre existence. L’avenir de l’humanité passe donc par l’art avec lequel nous saurons dissiper le plus d’énergie possible sans affecter sensiblement notre environnement ou, du moins, en l’affectant suffisamment lentement de façon à pouvoir sans cesse nous y maintenir adapté. Nous ne pouvons maximiser notre dissipation d’énergie qu’en coévoluant avec notre environnement.
Cela est vrai pour l’Homme comme pour les autres espèces vivantes. L’Homme ne peut évoluer que de concert avec elles. Cela nous conduit à l’hypothèse Gaïa de Lovelock. Elle devient une conséquence des lois de la thermodynamique. Gaïa est une structure dissipative au sens de Prigogine. Elle s’est développée sur terre pour y dissiper l’énergie solaire. C’est elle qui a donné naissance à la vie puis à l’humanité. Cette dernière en est la pièce maîtresse, celle qui mémorise le plus d’information donc dissipe le plus d’énergie par unité de masse, mais elle est indissociable de l’ensemble.
À long terme, la survie de Gaïa est dictée par le second principe de la thermodynamique, établi par Carnot. Elle est liée à la formation de cycles quasi-réversibles, extrayant de la chaleur d’une source chaude, le Soleil, pour en rendre une partie à une source froide, le ciel nocturne. Gaïa n’a pas d’autre solution pour minimiser son accumulation interne d’entropie. Toute autre source d’énergie ne peut qu’accroître cette accumulation en limitant son espérance de vie. La vie de Gaïa est donc intimement liée à celle du Soleil.
Telles sont les réponses apportées par la thermodynamique aux questions fondamentales posées par les écologistes. Les progrès considérables des sciences et techniques ont rendu l’Homme arrogant, lui faisant croire que la nature est à sa disposition pour en disposer à sa guise. Celle-ci se chargera vite de lui rappeler que l’anthropocentrisme n’est pas de mise. Faisant partie de l’univers, nous sommes soumis à ses lois. Peu à peu nous apprenons à les comprendre, pour mieux nous y soumettre.