Les êtres vivants mémorisent de l’information dans leurs gènes. Les organismes évolués mémorisent aussi de l’information dans leur cerveau. Il existe un troisième type de mémoire, intermédiaire entre les deux précédents, dont je n’ai pas parlé dans mon livre, le système immunitaire.
Héritée des parents, l’information mémorisée dans les gènes se réactualise au cours des générations. En partie aussi héritée, l’information du système immunitaire se réactualise beaucoup plus vite, au cours même de la vie d’un individu, notamment durant l’enfance. L’information mémorisée dans le cerveau évolue encore plus vite et se réactualise tous les jours.
Comme il se doit, chacune de ces structures s’auto-organise en créant des avalanches. Les gènes créent des avalanches de descendants. En réponse à des antigènes, le système immunitaire crée des avalanches d’anticorps. Enfin, le cerveau crée des avalanches de signaux électriques.
Tout cela dissipe de l’énergie. On sait que, par unité de masse, le cerveau dissipe dix fois plus d’énergie que les autres organes du corps. Le fonctionnement du système immunitaire réclame lui aussi beaucoup d’énergie. C’est pourquoi nous évitons de tout faire fonctionner en même temps. Nous réfléchissons avant d’agir, dissipant l’énergie d’abord dans le cerveau avant de la dissiper dans les muscles. Le système immunitaire fonctionne au mieux lorsque le cerveau et les muscles sont tous les deux au repos, c’est-à-dire pendant le sommeil. Les biologistes ont remarqué que lorsqu’un animal est stressé, comme une gazelle devant un lion, son système immunitaire et son système digestif s’arrêtent de fonctionner. Toute l’énergie disponible est utilisée pour la fuite.
On peut se poser la question de savoir si ces processus énergétiques ont un équivalent en sciences humaines. J’explique dans mon livre comment les échanges d’information entre les individus d’une société créent une intelligence collective. Les progrès scientifiques et techniques peuvent être considérés comme le résultat du fonctionnement d’un cerveau global. Quel serait alors l’équivalent du système immunitaire? Si l’on considère un organisme multicellulaire comme une société de cellules, on peut dire que le système immunitaire identifie les cellules dont le comportement est asocial. Il joue donc le rôle des forces de l’ordre.
Durant les périodes de croissance économique, les membres d’une société coopèrent volontiers entre eux. Animés par une culture ou idéologie commune, ils œuvrent de façon solidaire pour le bien commun. C’est l’équivalent du phénomène de sélection de parentèle en biologie: la sélection naturelle agit sur le groupe plutôt que sur l’individu. Les individus asociaux sont rares et faciles à identifier. Les forces de l’ordre sont peu nombreuses et bien acceptées par la société.
Cependant, la croissance économique ne peut se maintenir que par une différentiation des individus dont les activités deviennent de plus en plus spécialisées et complémentaires. Cela entraîne une diversification des cultures d’où une montée de l’individualisme qui rend la solidarité de plus en plus précaire. La croissance économique ralentit. On observe le même phénomène dans les écosystèmes où la résilience prend progressivement le pas sur l’efficience. En physique, c’est le passage de l’ordre vers le chaos.
Dans les sociétés humaines, la montée de l’individualisme rend les individus asociaux plus difficiles à identifier. Les forces de l’ordre croissent en nombre. Elles sont ressenties comme étant de plus en plus oppressives. La population des prisons s’accroît. La sélection naturelle n’agit plus sur le groupe qui perd son unité culturelle, mais sur les individus. Elle favorise ceux qui dissipent le plus d’énergie, c’est-à-dire les gens riches. Lorsqu’un État devenu policier favorise les gens riches, on parle d’une montée du fascisme.
Dans mon livre, je montre que le cerveau global d’une telle société fonctionne toujours mais ne percole plus. Devenu incapable d’agir, il s’endort pour se restructurer. C’est bien pendant le sommeil que l’activité des systèmes immunitaires se développe. Tout se tient!
Analogie très séduisante.
Cependant, elle possède un cadre métaphysique rigide (et dépassé?) que je tenterai de mettre partiellement en évidence :
1/ tout d’abord, l’idée que le « cerveau global » ne produise QUE du PROGRES; et du progrès purement scientifique et technique de surcroît !
Autrement dit il existe une cause finale vers laquelle l’Humanité tend aveuglément, en tant que cerveau global. Et les productions informationnelles de ce cerveau global sont positivistes au sens d’Auguste Comte.
On se ballade quelque part du côté de Teillard de Chardin, Hegel, Marx et Comte.
2/ La croissance économique comme corrolaire dudit PROGRES du cerveau global.
Idée de même nature idéologique qu’au point précédent. Mais avec une tendance encore plus marquée pour le pratico-inerte (production d’artefacts, Matérialisme si vous voulez).
Un côté presque Marxiste encore, selon lequel le développement des forces productives (à travers la croissance éco) est le moteur de l’Histoire : en l’occurrence la différenciation des cultures et l’individualisme.
Ces approches, classables sous le nom de Matérialisme, ont été réfutées depuis longtemps déjà (Sartre est le meilleur exemple que je connaisse de telles réfutations).
C’est évidemment aussi leur « force », puisqu’elles court-circuitent toute l’approche politique par totalisation sous l’étiquette « cerveau global » et « percolation ».
Réaction personnelle : J’ai longtemps été choqué secrètement par cette attitude de la pensée. Je ne m’étonne plus aujourd’hui que le monde vivant soit détruit. A la base de cette destruction, j’ai longtemps cru qu’il y avait le trop simple Capitalisme ou ses avatars industriels. L’esprit mercantile. En fait c’est la pensée même, la représentation de la Vie ou de la Pensée qui est en cause.
Cela dit, je vois bien qu’il y a chez M. F. Roddier une tentative d’unification louable. Mais cette Unité est a postériori. Non a priori.
On part du « bas » ou « élément » pour composer, totaliser, par les « lois » du « bas » (seul réel (re)connu) afin de ‘comprendre’ le ‘haut’, le ‘tout’.
On s’expose à la fragilité ce faisant, puisque tout repose en dernière analyse sur l’état contingent des connaissances acquises empiriquement.
Tant qu’à faire des analogies (au demeurant légitimes), je préfère celles de St. Thomas d’Aquin.
Il me faut ajouter que le fait que les analogies « se tiennent » tient justement au fait qu’il y ait une véritable Unité métaphysique, a priori.
Et que les « étants » finis développent des rapports entre eux, sur le modèle, ou par analogie de proportionnalité, selon les termes de St Thomas d’Aquin, de ce qui « se passe au sein de l’Unité Métaphysique.
Mais l’important est que l’orientation est totalement inversée. C’est le fait essentiel. Je ne développe pas toute cette « critique » pour le plaisir de la critique mais parce qu’il existe, dans l’approche unificatrice ici tentée, non seulement une légitimité mais des moyens philosophiques et métaphysiques ad hoc dans la Scolastique Chrétienne médiévale ( XIII° siècle, règne de Saint Louis IX)