Beaucoup de mes lecteurs me trouvent trop optimiste. Comment l’humanité pourra-t-elle jamais se remettre de l’effondrement qui s’annonce?
Je suis allé dimanche soir à Montfort assister à la représentation de la nouvelle pièce de Philippe Chuyen « Les Pieds tanqués », belle illustration de la façon dont la France s’est remise d’un grand effondrement: celui de son empire colonial.
Sur scène arrive un provençal qui s’apprête à jouer aux boules. Bientôt deux autres le rejoignent: un arabe et un pied noir. À peine commencée, la partie est interrompue par un parisien, nouvellement installé dans le midi, qui demande s’il peut se joindre à eux. Quatre personnages représentant quatre cultures différentes, illustration parfaite du « chaos culturel » provoqué par les effondrements.
Chacun d‘entre eux est le fils d’une victime de l’effondrement. On apprendra que, après avoir été Résistant, le père du parisien est parti se battre en Indochine où il a été fait prisonnier. Rescapé du Viet Cong, il est allé ensuite combattre le FLN en Algérie. Là, il s’est suicidé. Fils d’un combattant du FLN, l’arabe a aussi un oncle harki. Le pied noir rappellera la rage avec laquelle son père a arraché sa vigne avant de quitter l’Algérie. Quant au provençal, son père communiste soutenait le FLN contre ses compatriotes engagés en Algérie.
Meilleur joueur, le provençal fait équipe avec le parisien, laissant les deux natifs d’Algérie jouer ensemble. La pétanque offre une illustration parfaite de ce mélange de coopération et de compétition qu’est la vie. À l’accordéon, Jean-Louis Todesco entrecoupe les scènes de ses chansons, dont certaines évoquent Brassens ou Aragon.
Peu à peu la discussion s’envenime. Le parisien fait mine de s’en aller. Il est vite retenu. Un peu plus tard, c’est le provençal qui menace de quitter la partie, vite ramené lui aussi sur le terrain. Une nouvelle fraternité s’instaure entre les personnages, tous héritiers d’une même culture issue de la Méditerranée. La pièce se termine lorsque le provençal marque le dernier point, montrant aux trois autres comment il faut jouer. Si ce dernier fait maintenant figure de colonisé, tous se promettent de mieux jouer la future partie qui s’annonce.
Une pièce à voir cet été dans le Var ou au festival off d’Avignon (http://artscenicum.fr/).