En 1995, Dimitris Stassinopoulos et Per Bak publiait leur modèle de fonctionnement du cerveau (1). Ce modèle simule le cerveau d’un singe face à un signal lumineux et deux leviers. Pour obtenir de la nourriture, le singe doit appuyer sur le levier gauche si le signal est rouge, sur le levier droit si le signal est vert (voir section 9.3 de mon livre). Le réseau neuronal du modèle s’auto-organise par oscillations successives autour du point critique, produisant des avalanches de signaux dont l’amplitude est inversement proportionnelle à leur fréquence (loi en 1/f).
Initiallement, lorsque le signal lumineux change de couleur, le singe continue à appuyer sur le même levier. L’absence de nourriture entraîne une baisse de l’intensité des connections. L’activité du singe diminue. Mais la faim entraîne un abaissement des seuils. De nouvelles connections se forment et l’activité du singe reprend. Les oscillations autour du point critique se poursuivent jusqu’au succès récompensé par un apport de nourriture.
Ce modèle s’applique aussi bien au cerveau global formé par un ensemble d’individus échangeant de l’information, par exemple l’ensemble de la population du globe. Une région spécialisée de ce cerveau global est formée par l’ensemble des économistes. Ce sous ensemble régit actuellement l’économie mondiale suivant un modèle dit néoclassique, fruit de l’expérience passée.
Le modèle néoclassique admet qu’une croissance économique régulière peut être indéfiniment maintenue grâce au progrès scientifique et technique. Les crises économiques actuelles remettent en question ce modèle. Dans sa conférence du 1er mars, Dennis Meadows (voir article précédent) montre l’évolution progressive de la pensée des économistes concernant les limites de la croissance. Je traduit en français sa présentation:
– 1970: Il n’y pas de limites.
– 1980: Il y a des limites, mais on en est bien loin.
– 1990: Les limites sont proches, mais la technologie et le marché s’en affranchiront aisément.
– 2000: La technologie et les marchés ne s’affranchissent pas toujours des limites, mais la croissance du PNB nous apportera plus de ressources pour résoudre les problèmes.
– 2010: Si nous avions été capable de maintenir la croissance, nous n’aurions pas de problème avec les limites.
Cette séquence illustre parfaitement la manière dont le cerveau (global ou non) fonctionne. Les croyances acquises tendent à se maintenir le plus longtemps possible. Sous la pression des faits (diminution de l’apport énergétique), les croyances se modifient peu à peu, par itérations successives. Elles le font de façon à préserver l’acquis le plus longtemps possible.
Chaque modification correspond à une petite restructuration du cerveau global (les croyances évoluent). Cela se traduit par des petites restructurations de la société: depuis le recyclage des déchets jusqu’à l’introduction d’une taxe carbone. L’importance de ces restructurations est en 1/f. Cela signifie qu’elles sont d’autant plus nombreuses que leur impact est plus faible.
Dennis Meadows traduit cela en disant qu’on soigne les symptomes (pollution, réchauffement climatique, etc…) plutôt que le mal (la croissance). Pour Meadows, dès 1972 son rapport avait correctement diagnostiqué l’origine du mal. Il pensait que la société allait en tenir compte et ralentir la croissance. Quarante ans plus tard, on vit toujours dans une économie productiviste.
Le modèle du cerveau décrit plus haut en donne une explication. Le comportement ne change que sous la pression de l’environnement. Les relations économiques font partie des relations sociales qui elles-même font partie des relations écologiques. Les crises sont donc d’abord économiques avant de s’étendre pour devenir sociales puis écologiques. Faudra-t-il attendre ce dernier stade pour que les économistes comprennent enfin la cause de nos malheurs? Non seulement une décroissance devient inévitable, mais plus on cherche à la retarder plus elle sera forte.
(1) Stassinopoulos, D., Bak, P., Phys. Rev. E 51 (1995) 5033.
Par le prêt à intérêt on ne peut que continuer à vivre dans une société productiviste, je pense que Denis Meadows n’en a pas tenu compte.
Sans son abolition nous ne pourrons jamais nous diriger vers une sobriété énergétique.
On peut considérer le prêt à intérêt comme une rente de la propriété privée qui fut à l’origine du capitalisme et qui ne peut survivre que par la croissance.
Aujourd’hui, les 1% les plus riche n’ont plus que l’austérité à imposer aux autres pour maintenir leurs sinécures. Dans cette austérité, il y a le taux d’intérêt pratiquement nul sur l’épargne citoyenne. Je pense que ce seul fait va faire évoluer les croyances. S’il n’y a plus d’intérêt financier sur notre épargne, et bien changeons de manette et inventons l’intérêt sobriétaire qui n’est rien de plus que d’investir sans intérêt financier pour faire mieux avec moins de ressources.
Ce n’est qu’une idée.
Voir ce long article (une quinzaine de pages A4) qui, entre autre, analyse l’effet du prêt à intérêt et montre que l’économie la plus performante est … Cuba :
http://allocation-universelle.net/developpement-durable.php