J’aborde aujourd’hui un sujet que j’ai longtemps laissé de coté parce qu’il laisse planer la plus grande incertitude sur l’avenir de l’humanité: la fusion nucléaire.
J’en dis un mot dans mon livre (Thermodynamique de l’évolution, p. 187) tout en émettant des doutes sur ses possibilités à court terme. Tandis qu’il devient chaque jour plus clair que les réserves en pétrole de l’humanité s’amenuisent, plus nombreux sont ceux qui portent leurs espoirs vers la fusion nucléaire. Que faut-il en penser?
Je continue à douter que la fusion nucléaire puisse rapidement devenir une source d’énergie utilisable pour l’humanité, mais rien ne s’oppose à ce qu’elle le devienne un jour ou l’autre. Comme je le dis souvent, le problème pour l’humanité n’est pas tant de trouver de l’énergie, que d’évacuer l’entropie liée à sa dissipation. Je me demande alors si ceux qui rèvent de fusion nucléaire se rendent compte de ce que cela implique.
Nombreux sont les biologistes qui, à la suite de Prigogine, réalisent aujourd’hui que la vie est un processus physico-chimique apparu sur Terre pour dissiper l’énergie solaire. L’homme a ceci de particulier qu’il a développé des processus exosomatiques pour le faire. Cela lui a permis d’utiliser des formes d’énergie solaire dites fossiles qui avait été jusqu’ici laissées de coté par les autres êtres vivants. On prends tout juste conscience aujourd’hui des conséquences que cela a entraîné: en quelques siècles la population humaine a décuplé, provoquant une extinction massive d’autres espèces tout en déclenchant une modification quasi-irréversible du climat.
Ce faisant l’humanité a radicalement changé. Formée initialement de populations échangeant relativement peu d’information entre elles, autre que locale, elle développe aujourd’hui des réseaux échangeant une quantité chaque jour croissante d’information à travers tout le globe. Autrement dit, elle se met à former à elle seule un organisme vivant unique dont les individus en sont les cellules. Comme toutes cellules, celles-ci se différencient pour contribuer chacune à sa manière à la vie de l’ensemble.
Il est clair qu’un tel enfantement ne se fait pas sans douleur. C’est malheureusement dans la douleur que les êtres vivants prennent conscience d’eux-même. L’épuisement de nos ressources pétrolières va mettre en danger la survie d’une fraction de plus en plus importante de la population du globe, notamment parmi les plus pauvres. On sait déjà que le développement des sources d’énergies dites renouvelables ne sera pas assez rapide pour compenser le déficit dû à l’épuisement des énergies fossiles. En ce sens, la production d’énergie par fusion nucléaire apparait comme une bonne nouvelle.
On oublie peut être un peu vite qu’il y a 50 ans la production d’énergie par fission nucléaire a été acueillie avec enthousiasme. Peut-être aurait-on dû être plus circonspect et mieux réfléchir aux implications: un processus physico-chimique, la vie, se montrait capable de déclencher des réactions thermonucléaires! Rien de moins naturel.
Manquant de pétrole, la France a fait de la fission un des piliers de sa politique énergétique. Beaucoup s’en mordent aujourd’hui les doigts. Moins polluante, la fusion nucléaire parait plus attrayante. Mais la production d’entropie ne se limite pas à la pollution. Elle mesure l’ensemble des modifications de l’environnement. On a vu à quelle vitesse l’utilisation des énergies fossiles a modifié notre environnement. Qu’en serait-il de la fusion nucléaire?
J’ai souvent parlé dans ce blog, comme dans mon livre, du principe de production maximale d’entropie. Imaginons que la fusion nucléaire offre à l’homme une source d’énergie quasi-illimitée. J’en compare souvent les conséquences à celles d’un feu de paille. Si l’humanité est faite pour maximiser sa dissipation de l’énergie, alors elle va sans aucun doute maximiser sa dissipation de l’énergie de fusion, à moins qu’elle ne prenne conscience des conséquences à long terme que cela entraîne pour son environnement.
Il semble qu’une prise de conscience collective s’est faite jour pour la fission. Parce moins polluante, la fusion risque de ne pas provoquer la même prise de conscience. Pourtant le problème reste le même. La raison en est qu’en tant qu’êtres vivants nous sommes adaptés à un flux limité d’énergie, celui de l’énergie solaire, pas à un flux capable de croître indéfiniment. J’ai dit que les prises de conscience se font dans la douleur. Cela risque d’être le cas pour la fusion, lorsque celle-ci verra le jour.
On a vu que l’humanité tend aujourd’hui à former un organisme vivant unique, pourvu d’un cerveau global. Combien de temps mettra ce cerveau global pour prendre conscience du processus et limiter son taux de dissipation d’énergie? C’est pourtant ce que font tous les organismes vivants grâce à un mécanisme de régulation créant la « sasiété ». Lorsque nous sommes « raisonables », nous nous arrêtons de manger lorsque nous n’avons plus faim. De même, notre pancréas régule notre consommation de glucose grâce à deux hormones ayant des actions opposées, l’insuline et le glucagon. Cela entraîne le phénomène d’homéostasie. Nos sociétés humaines sauront-elles un jour atteindre l’homéostasie? C’est déjà ce qu’espérais Rabelais lorsqu’il fait dire à Gargantua écrivant à son fils Pantagruel: « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».