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77 – Science sans conscience

J’aborde aujourd’hui un sujet que j’ai longtemps laissé de coté parce qu’il laisse planer la plus grande incertitude sur l’avenir de l’humanité: la fusion nucléaire.

J’en dis un mot dans mon livre (Thermodynamique de l’évolution, p. 187) tout en émettant des doutes sur ses possibilités à court terme. Tandis qu’il devient chaque jour plus clair que les réserves en pétrole de l’humanité s’amenuisent, plus nombreux sont ceux qui portent leurs espoirs vers la fusion nucléaire. Que faut-il en penser?

Je continue à douter que la fusion nucléaire puisse rapidement devenir une source d’énergie utilisable pour l’humanité, mais rien ne s’oppose à ce qu’elle le devienne un jour ou l’autre. Comme je le dis souvent, le problème pour l’humanité n’est pas tant de trouver de l’énergie, que d’évacuer l’entropie liée à sa dissipation. Je me demande alors si ceux qui rèvent de fusion nucléaire se rendent compte de ce que cela implique.

Nombreux sont les biologistes qui, à la suite de Prigogine, réalisent aujourd’hui que la vie est un processus physico-chimique apparu sur Terre pour dissiper l’énergie solaire. L’homme a ceci de particulier qu’il a développé des processus exosomatiques pour le faire. Cela lui a permis d’utiliser des formes d’énergie solaire dites fossiles qui avait été jusqu’ici laissées de coté par les autres êtres vivants. On prends tout juste conscience aujourd’hui des conséquences que cela a entraîné: en quelques siècles la population humaine a décuplé, provoquant une extinction massive d’autres espèces tout en déclenchant une modification quasi-irréversible du climat.

Ce faisant l’humanité a radicalement changé. Formée initialement de populations échangeant relativement peu d’information entre elles, autre que locale, elle développe aujourd’hui des réseaux échangeant une quantité chaque jour croissante d’information à travers tout le globe. Autrement dit, elle se met à former à elle seule un organisme vivant unique dont les individus en sont les cellules. Comme toutes cellules, celles-ci se différencient pour contribuer chacune à sa manière à la vie de l’ensemble.

Il est clair qu’un tel enfantement ne se fait pas sans douleur. C’est malheureusement dans la douleur que les êtres vivants prennent conscience d’eux-même. L’épuisement de nos ressources pétrolières va mettre en danger la survie d’une fraction de plus en plus importante de la population du globe, notamment parmi les plus pauvres. On sait déjà que le développement des sources d’énergies dites renouvelables ne sera pas assez rapide pour compenser le déficit dû à l’épuisement des énergies fossiles. En ce sens, la production d’énergie par fusion nucléaire apparait comme une bonne nouvelle.

On oublie peut être un peu vite qu’il y a 50 ans la production d’énergie par fission nucléaire a été acueillie avec enthousiasme. Peut-être aurait-on dû être plus circonspect et mieux réfléchir aux implications:  un processus physico-chimique, la vie, se montrait capable de déclencher des réactions thermonucléaires! Rien de moins naturel.

Manquant de pétrole, la France a fait de la fission un des piliers de sa politique énergétique. Beaucoup s’en mordent aujourd’hui les doigts. Moins polluante, la fusion nucléaire parait plus attrayante. Mais la production d’entropie ne se limite pas à la pollution. Elle mesure l’ensemble des modifications de l’environnement. On a vu à quelle vitesse l’utilisation des énergies fossiles a modifié notre environnement. Qu’en serait-il de la fusion nucléaire?

J’ai souvent parlé dans ce blog, comme dans mon livre, du principe de production maximale d’entropie. Imaginons que la fusion nucléaire offre à l’homme une source d’énergie quasi-illimitée. J’en compare souvent les conséquences à celles d’un feu de paille. Si l’humanité est faite pour maximiser sa dissipation de l’énergie, alors elle va sans aucun doute maximiser sa dissipation de l’énergie de fusion, à moins qu’elle ne prenne conscience des conséquences à long terme que cela entraîne pour son environnement.

Il semble qu’une prise de conscience collective s’est faite jour pour la fission. Parce moins polluante, la fusion risque de ne pas provoquer la même prise de conscience. Pourtant le problème reste le même. La raison en est qu’en tant qu’êtres vivants nous sommes adaptés à un flux limité d’énergie, celui de l’énergie solaire, pas à un flux capable de croître indéfiniment. J’ai dit que les prises de conscience se font dans la douleur. Cela risque d’être le cas pour la fusion, lorsque celle-ci verra le jour.

On a vu que l’humanité tend aujourd’hui à former un organisme vivant unique, pourvu d’un cerveau global. Combien de temps mettra ce cerveau global pour prendre conscience du processus et limiter son taux de dissipation d’énergie? C’est pourtant ce que font tous les organismes vivants grâce à un mécanisme de régulation créant la « sasiété ». Lorsque nous sommes « raisonables », nous nous arrêtons de manger lorsque nous n’avons plus faim. De même, notre pancréas régule notre consommation de glucose grâce à deux hormones ayant des actions opposées, l’insuline et le glucagon. Cela entraîne le phénomène d’homéostasie. Nos sociétés humaines sauront-elles un jour atteindre l’homéostasie? C’est déjà ce qu’espérais Rabelais lorsqu’il fait dire à Gargantua écrivant à son fils Pantagruel: « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».


76 – Les monnaies Yin et Yang

Dans mon billet précédent, j’ai mentionné les monnaies Yin et Yang de Bernard Lietaer. Je dois avouer que, lorsque j’ai donné ma conférence le 12 mars, je n’avais pas encore lu son livre (1). Je l’ai lu depuis et il a été pour moi une révélation: l’expérience confirmait le bien fondé de mes propositions. Voici en particulier ce qu’il dit  (p. 212):

« Un système monétaire dual de nature Yin-Yang a fait ses preuves pendant plusieurs siècles en Europe pendant le Moyen-Âge central. Le corolaire est qu’imposer un monopole d’une monnaie Yang est peut-être plus efficace, mais le sera au prix d’une détérioration de la justice financière et de la stabilité sociale d’une société. » Durant mon exposé, j’ai montré que non seulement une monnaie complémentaire diminue les inégalités sociales, mais encore elle facilite les transitions économiques en évitant les effondrements brutaux.

Bernard Lietaer donne un second exemple de monnaie Yin, en Égypte. Son introduction correspondrait au passage de l’ancien testament dans lequel le pharaon rêve que sept vaches maigres dévorent sept vaches grasses. Joseph prédit que sept années de disette suivront sept années de prospérité et conseille au pharaon de mettre du blé en réserve, ce qu’il fit. Selon Bernard Lietaer, les reçus de ces dépots de blé auraient alors servi de monnaie Yin, évitant un effondrement brutal de l’économie.

Son livre a attiré mon attention sur la relation entre l’archétype Yin-Yang et le cycle de Carnot. On sait que le Yang correspond au chaud, tandis que le Yin correspond au froid. Considérons une machine thermique constituée d’un cylindre fermé par un piston. Associé au plein, le Yang correspond à la phase active pendant laquelle le cylindre se remplit de vapeur ou d’air chaud, tandis qu’associé au vide, le Yin s’identifie à la phase passive durant laquelle le cylindre refroidi se vide.

Ces correspondances sont d’autant plus remarquable qu’elles ont été faites à une époque où on ignorait tout des lois de la thermodynamique. Prenons, le cas de la convection (2). Deux forces opposées agissent, la poussée d’Archimède et la gravité. Le Yang correspond clairement à la partie ascendante du cycle durant laquelle la source chaude apporte l’énergie nécessaire aux forces d’Archimède pour effectuer un travail positif. Le Yin correspond à la phase descendante du cycle durant laquelle la source froide permet aux forces de gravité de l’emporter en refermant le cycle.

La correspondance est encore plus frappante, si on l’applique à la vie considérée comme une machine thermique fonctionnant entre une source chaude, le Soleil, et une source froide le ciel nocturne. En effet, dans la tradition chinoise, le Yang est associé au soleil et à la clarté tandis que le Yin est associé à la lune et à l’obscurité.

Le Yang est enfin associé à l’homme qui part le matin fournir un travail physique, tandis que le Yin est associé à la femme qui l’accueille le soir et le restaure. Étymologiquement, le mot restaurer signifie remettre en état. Traditionellement la femme entretient la maison, donc la remet chaque jour en état comme on restaure les conditions initiales d’un cycle de Carnot.

Enfin la femme met les enfants au monde. Elle assure la transition de phase entre un cycle de vie et le cycle suivant. De même les transitions économiques sont des transitions de phase entre deux cycles économiques successifs. C’est durant ces transitions qu’une monnaie Yin est indispensable.

(1) Bernard Lietaer, Au cœur de la monnaie, Yves Michel. Nouvelle édition (2012).

(2) Le mouvement de l’eau dans une casserole sur le feu.


75 – L’Europe et la monnaie commune

Dans le billet précédent j’ai montré que, en présence d’une source d’énergie (houille, pétrole), les échanges commerciaux entre des pays développés et des moins développés ont pour effet de diminuer leurs écarts économiques (ou différences de « température »). Cela est vrai pour les pays qui utilisent des monnaies différentes. Cela a été le cas, par exemple, des États-Unis et de la Chine.

Le lecteur perspicace aura remarqué qu’en adoptant une monnaie unique les Européens ont de facto imposé une « température » unique à leur économie commune. Cela rend impossible de combler les différences de pouvoir d’achat entre les états membres. Ceux-ci sont considérés comme des partenaires de même avance économique que l’on met en compétition « libre et non faussée ».

Le résultat est alors l’inverse. Au lieu de diminuer leurs différences économiques, les échanges commerciaux les augmentent. Tandis que l’Allemagne s’enrichit, la Grèce devient de plus en plus pauvre. Le même phénomène se produit à l’échelle individuelle. Les inégalités de richesses ne cessent de croître entre les individus. C’est une propriété générale de toute communauté utilisant une même monnaie.

De même qu’une machine thermique ne peut fonctionner durablement avec une seule source de chaleur, de même une économie ne peut fonctionner durablement avec une seule monnaie. Dès que les ressources diminuent, la croissance stagne. Tôt ou tard, l’économie est en faillite et la société s’effondre. Un effondrement brutal pourrait être évité si l’on introduisait une deuxième monnaie. Dans son livre « Au cœur de la monnaie », l’économiste belge Bernard Lietaer arrive à la même conclusion à partir de considérations historiques. Il appelle ces deux monnaies le yin et le yang.

Aujourd’hui, le besoin de monnaies complémentaires se fait partout sentir. Beaucoup ont été introduites, mais les diverses tentatives restent isolées les unes des autres (1). Philippe Derudder et André-Jacques Holbecq proposent une monnaie nationale complémentaire (2). Malheureusement, l’histoire montre que les civilisations s’effondrent avant que l’usage d’une deuxième monnaie se généralise. À vous, chers lecteurs, d’en propager l’idée et de faire pression sur nos dirigeants pour qu’ils la mettent en application.

L’exposé que j’ai fait le 12 mars a pour titre « La thermodynamique des transitions économiques ». Le lecteur intéressé en trouvera ci-joint une version écrite ainsi que les projections associées (format pdf ou diaporama). On y trouvera ma proposition en faveur d’une seconde monnaie européenne.

La vidéo a été postée sur youtube

Voici aussi les liens à deux articles suscités par ma conférence:

« On a atteint le point critique : l’effondrement de notre civilisation »

Transition : un scientifique propose de créer une deuxième monnaie pour réguler le système économique

(1) Voir: http://monnaie-locale-complementaire.net/france/
(2) Éditions Yves Michel (2010) et http://www.aises-fr.org/s-informer/bibliographie-choisie/livres-communs-philippe-derudder-et-andre-jacques-holbecq


74 – Information

Je remercie mes lecteurs pour leurs commentaires et leurs encouragements. Je ne peux pas leur répondre immédiatement car je prépare une conférence pour le 12 mars à Paris. Cette conférence n’est pas publique, mais son enregistrement vidéo sera rendu public sur Youtube. Je le signalerai en temps voulu.


73 – Les quatre saisons de l’économie (suite)

Je remercie d’abord tous mes lecteurs pour leurs commentaires qui m’encouragent à poursuivre ce blog et à répondre à leurs questions.

Une question essentielle est pourquoi des cycles de 4 x 30 = 120 ans? Comme je l’ai dit en note, chaque période correspond à une génération. On retrouve un cycle similaire pour la houille. Je situerais son printemps de 1815 à 1845. Carnot écrit son mémoire sur la puissance motrice du feu. L’été s’étend de 1845 à 1875. C’est l’époque de la construction des chemins de fer sous Napoléon III. L’automne s’étend de 1875 à 1905. La croissance a déjà ralenti.

L’avenir parait pourtant prometteur. C’est l’époque de l’exposition universelle de 1889. On en parle comme étant la belle époque. Le développement économique qui s’annonce porte sur l’électricité et l’automobile. Il va hélas apporter le chaos: une première guerre mondiale suivie d’une grande récession économique. Pire, les débuts du pétrole nous offrent le luxe d’une deuxième guerre mondiale. Ce n’est qu’avec l’été du pétrole que l’économie reprend. Il permet le développement de l’aviation. Mais là encore il ne dure qu’une trentaine d’années.

De nos jours, il y a toujours de la houille et du pétrole et pourtant l’économie est en récession. Clairement, la durée des cycles ne dépend pas de la quantité de houille ou de pétrole disponible. Après avoir apporté une certaine prospérité, les nouvelles sources d’énergie semblent chaque fois conduire au chaos. Quelles en sont les raisons?

La réponse est assez simple. Le second principe de la thermodynamique nous dit qu’on ne peut pas produire de travail mécanique avec une seule source de chaleur. Dans le cas de l’agriculture, il y a effectivement alternance entre une période ou l’énergie est bon marché (l’été) et une autre ou l’énergie est chère (l’hiver). Nous avons vu que c’est l’équivalent de deux températures différentes (billet 49). Dans le cas d’une économie industrielle, cette différence de température n’existe plus. Il y avait pratiquement toujours autant de charbon en 1875 qu’en 1845, et presque autant de pétrole en 1975 qu’en 1945.

Par contre, la température de l’économie était beaucoup plus basse en Afrique et en Asie qu’en Europe. Les hommes s’en sont rapidement aperçus. Dès 1815, année de la défaite de Napoléon 1er, la Grande-Bretagne profite de sa suprématie maritime pour étendre ses colonies dans le monde entier. Grâce à cette source froide, son moteur économique fait un grand bon en avant.

C’est seulement en 1830 que la France en fait autant. Elle fonde des colonies en Afrique, en Asie et en Océanie. Son moteur économique démarre à son tour. Seule l’Allemagne reste en rade, faute d’accès à la mer. La guerre de 1871 permet à Bismarck de lui forger enfin des colonies. Son moteur économique démarre en troisième position. Mais la compétition avec la France et l’Angleterre est rude. Elle est une des causes de la première guerre mondiale. La température économique des pays développés descend tandis que celle des pays colonisés monte. Le rendement de Carnot diminue, d’où la crise économique de 1929 et une nouvelle guerre mondiale.

Avec l’aide des américains, la communauté européenne du charbon et de l’acier est sensée permettre aux économies occidentales de repartir, mais les colonies s’émancipent. Faisant partie de la France, l’Algérie est source de difficultés. C’est finalement le pétrole qui sauve la mise en donnant une nouvelle avance à l’occident. Du moins pour un temps. Car nos économistes ne semblent pas avoir réalisé que, en dehors de l’apport d’énergie qui nous vient du soleil, notre monde globalisé est un système isolé du reste de l’univers. Les lois de la thermodynamique nous disent que, dans un système isolé, les différences de température ne peuvent que s’estomper.

Une génération plus tard le rendement de Carnot a de nouveau beaucoup régressé. Alors que les pays en voie de développement progressent, les différences de température continuent à diminuer. Les pays développés sont en difficulté. Leur moteur économique manifeste ses premiers soubresauts en 2008. Un jour ou l’autre, il finira par caler. Il faudra alors le faire repartir sur les réserves de la batterie. Pour l’humanité, ce sont nos réserves agricoles. Elles se rechargent grâce à l’énergie solaire.


72 – Les quatre saisons de l’économie

Les économistes reconnaissent l’existence de cycles économiques sans en comprendre les raisons. Les travaux de Per Bak ont montré que les structures dissipatives oscillent constamment autour de leur point critique. Il parait donc naturel d’identifier les cycles économiques aux cycles des structures dissipatives que sont les sociétés humaines (1).

De façon générale, ces cycles ne sont pas périodiques mais aléatoires. Statistiquement, leur amplitude est inversement proportionnelle à leur fréquence. Dans mon billet 64, j’ai montré que les économies agricoles traditionnelles sont restées relativement stables parce qu’elles se sont synchronisées sur les saisons. Dans ce cas, le cycle économique devient périodique et sa période est l’année.

On peut aller plus loin et assimiler les cycles économiques à ceux d’un moteur à quatre temps. Cela est possible si l’on généralise à l’économie la notion de température comme je l’ai fait dans mon billet 49. Tout ingénieur sait qu’un moteur thermique opère par échanges d’énergie entre deux sources de chaleur, une source chaude et une source froide. L’équivalent économique est une oscillation entre des périodes où l’énergie est abondante donc bon marché et des périodes où elle est rare donc chère.

Dans une économie agricole ces deux périodes sont l’été et l’hiver. Elles correspondent aux deux isothermes du cycle d’un moteur thermique. L’énergie est fournie par la production agricole. C’est elle qui nous fait vivre. L’été cette production est abondante. L’agriculteur va en garder une partie pour sa propre consommation et mettre le reste en réserve pour l’hiver. L’été correspond à l’admission de vapeur très chaude dans le cylindre. Celle-ci pousse le piston et fait avancer la machine. De même, il y a une forte production alimentaire qui propulse l’économie. Comme dans un volant d’inertie, une bonne partie de cette richesse est mise en réserve. L’hiver, c’est l’opposé. La température étant au plus bas, l’agriculteur vit sur ses réserves. L’automne et le printemps correspondent à des transformations adiabatiques. Il n’y a ni accumulation de richesses, ni utilisation de réserves.

Les économies agricoles sont stables parce que l’arrivée de l’hiver est prévisible. L’agriculteur sait quand l’hiver va arriver et ce qu’il doit mettre en réserve pour subsister. Il sait aussi qu’un nouvel été surviendra après l’hiver. Depuis deux cents ans, l’humanité vit sur ses réserves d’énergie fossiles, d’abord la houille, puis le pétrole. Mal connue, l’étendue de ces réserves est suffisante pour plusieurs générations. Mais, l’homme n’a pas été habitué à prévoir ses besoins pour les générations suivantes. Pire, peu instruits en biologie ou en thermodynamique, la majorité de nos économistes ignorent encore le rôle fondamental joué par l’énergie dans la survie des espèces animales ou végétales. En dépit des mutiples signaux d’alertes lancés par les scientifiques, peu se sont souciés de l’alimentation en énergie des générations futures.

On s’inquiète enfin aujourd’hui de nos réserves pétrolières. On aurait atteint un pic pétrolier correspondant à l’utilisation de la moitié de nos ressources. En termes de cycle économique, cela veut dire que nous avons parcouru la moitié d’un cycle. L’humanité a commencé à utiliser sérieusement ses réserves pétrolières dès la fin de la deuxième guerre mondiale. Si l’on compare cela aux quatre saisons de l’économie décrites plus haut, l’été correspondrait à ce qu’on appelle les trente « glorieuses », c’est-à-dire la période de 1945 à 1975, et l’automne correspondrait à la période de 1975 à 2005. Nous sommes à l’entrée de l’hiver. Celui-ci va s’étendre de 2005 à 2035 (2). C’est la période durant laquelle l’économie vit sur ses réserves. À la fin de l’hiver, un nouveau cycle recommence fondé sur de nouvelles sources d’énergie. Celles-ci devraient peu à peu relayer le pétrole, à condition de les avoir prévues.

Parce que l’énergie y est abondante et bon marché, l’agriculteur fait ses réserves l’été en prévision de l’année suivante. Il fallait donc investir pour le cycle suivant durant les trentes glorieuses. Personne n’y a songé. Les écologistes ont donné l’alerte dans les années 70, c’est-à-dire au début de l’automne. C’était déjà trop tard. De plus, ils n’ont pas été écoutés. Ils sont aujourd’hui écoutés, mais c’est beaucoup trop tard. Ce n’est pas au début de l’hiver qu’on songe à faire des réserves. Nos chers économistes devraient relire la fable de La Fontaine sur la cigale et la fourmi.

Il est facile maintenant de prévoir ce qui va arriver. Comme la cigale qui met des années à se développer sous terre, notre civilisation a mis des siècles à se développer grâce à l’agriculture. Comme elle, elle a subi une mue. Nous l’appelons révolution industrielle. Faute d’avoir prévu des réserves, notre civilisation va s’effondrer. Les simulations du club de Rome disent avant le milieu de ce siècle ce qui est consistant avec les estimations ci-dessus.

Comme le font les cigales l’été, les civilisations se reproduisent. Une nouvelle civilisation naîtra fondée sur une autre vision du monde. Ce blog peut être vu comme une participation au processus de reproduction. Il tente d’ajouter de nouvelles graines à toutes celles qui seront susceptibles de créer cette nouvelle vision.

(1) François Roddier, Thermodynamique de l’évolution, Parole éd., p. 122.
(2) Il est à noter que la longueur de ces saisons correspond à celle d’une génération.


71 – L’économie de l’après-croissance

Après quatre mois d’interruption, je reprends la rédaction de ce blog. Pour des raisons techniques, le logiciel a dû être entièrement remis à jour. Dans la mesure du possible l’ancienne présentation a été conservée. Je remercie les lecteurs pour leur patience et leurs encouragements.

Le titre de ce billet: « L’économie de l’après-croissance » est celui d’un nouvel ouvrage collectif édité par l’Institut Momentum dont la parution est prévue en mars prochain (éditions SciencesPo). Mon travail de ces derniers mois fera l’objet d’un chapitre de ce livre. J’y montre le rôle thermodynamique des phases de décroissance en économie.

Comme toute structure qui s’auto-organise, l’économie humaine oscille de part et d’autre d’un point critique. Ces oscillations peuvent parfois prendre une grande ampleur et provoquer la disparition de civilisations. Des phénomènes périodiques comme les saisons ont pu par le passé stabiliser l’amplitude de ces oscillations. C’est le cas des économies agricoles. Ce sera le sujet de mon prochain billet.


69 – Pourquoi sommes-nous paresseux?

On me pose souvent des questions de ce genre. La nature nous a créé pour dissiper l’énergie. Le principe de production maximale d’entropie (MEP) implique que, par unité de temps, nous dissipions le plus d’énergie possible. Alors pourquoi avons-nous tendance à être paresseux?

La réponse est que nous sommes soumis à des contraintes: nos forces sont limitées. La seule façon que nous ayons de dissiper davantage d’énergie est de le faire le plus efficacement possible afin de gagner du temps.

Je prendrai un exemple concret. Un promeneur longe une rivière. Il voit une personne un peu plus loin en train de se noyer. Il faut aller la secourir. Il va d’abord courir vers la rivière puis nager vers le noyé. Va-t’il y aller en ligne droite? On court plus vite sur terre que l’on ne nage dans l’eau. On a donc intérêt à rester plus longtemps sur la rive que dans l’eau. La trajectoire optimale n’est pas la ligne droite mais une ligne brisée faite de deux segments de droites l’une sur terre plus parallèle au rivage, l’autre dans l’eau plus perpendiculaire à celui-ci. C’est la trajectoire qui permettra d’atteindre le noyé le plus rapidement possible. C’est aussi celle qui demande le moins de dépense d’énergie, donc celle de l’individu paresseux. Ainsi nous serions paresseux pour être efficaces.

Il se trouve que le même problème se pose pour la lumière. Un photon se propage plus vite dans l’air que dans l’eau. La trajectoire la plus rapide est cette même ligne brisée donnée par les lois de la réfraction. Ainsi la lumière prend toujours le chemin le plus rapide pour aller d’un point à un autre. Les photons, eux aussi, sont des paresseux. Les étoiles dissipent leur énergie sous forme d’ondes électromagnétiques. La plupart de l’énergie de l’univers se dissipe ainsi. On voit que les lois de l’électromagnétisme sont bien conformes au principe de production maximale d’entropie.

On retrouve le même phénomène en mécanique, sous le nom de principe de moindre action. Le mouvement d’un corps matériel livré à lui-même est dans l’immédiat celui qui minimise sa dépense (ou maximise son acquisition) d’énergie cinétique. Ainsi lorsqu’on lâche une pierre, elle tombe verticalement car c’est le mouvement qui maximise son acquisition d’énergie cinétique. Les pierres aussi sont des paresseuses, elles tombent. Dans l’air, il y a des frottements. En maximisant l’acquisition d’énergie cinétique, le mouvement va maximiser la dissipation d’énergie due aux frottements. Les lois de la mécanique sont donc bien conformes au principe de production maximale d’entropie.

On voit que maximiser une quantité implique souvent d’en minimiser une autre. Cela prête souvent à confusion. Ainsi une structure dissipative minimise son entropie interne pour en maximiser sa production externe.

On peut comparer l’entropie à de la poussière. Celle-ci tend à s’accumuler sur place. Une structure dissipative est comme une ménagère qui balaie la poussière de sa maison pour l’envoyer vers l’extérieur. Le problème est que la poussière va chez le voisin. C’est ce qui se passe dans une société de compétition. La sélection naturelle favorise celui qui dissipe le plus d’énergie, c’est-à-dire celui qui balaie le plus vite. Il finit rapidement par l’emporter en polluant tous les autres, d’où une montée rapide des inégalités.

C’est pourquoi les hommes s’unissent pour former des sociétés à l’intérieur desquelles chacun coopère pour balayer ensemble l’entropie à l’extérieur de la société. C’est alors la société qui balaie le plus vite qui l’emporte sur les autres sociétés jusqu’au moment où c’est toute la planète qui est polluée. Il ne reste plus alors à l’humanité qu’à s’unir pour envoyer de concert l’entropie vers l’espace sous forme de rayonnement infrarouge. C’est ce vers quoi elle s’achemine peu à peu.