Un lecteur aura peut-être remarqué l’analogie entre la suite des α(i) du billet précédent et la suite logistique décrite dans mon billet 20:
Xi+1 = μ.Xi.[1-Xi] (1)
Avec la même notation, la suite du billet précédent s’écrit:
Xi+1 = -μ.Xi.log Xi (2)
Les deux fonctions X(1-X) et -X.log(X) ont un aspect tout à fait similaire pour X compris entre 0 et 1. La première est symétrique. Elle représente un arc de parabole avec un maximum égal à 1/4 pour X=1/2. La seconde est légèrement dissymétrique et passe par un maximum égal à 1/e pour X=1/e. On peut donc s’attendre à ce que les suites (1) et (2) aient un comportement analogue. À ma connaissance, personne ne l’a encore vérifié. Aussi ai-je profité d’un séjour à la neige avec mon fils ainé [1] pour lui demander de le vérifier. Mes lecteurs auront la primeur du résultat.
Les deux figures ci-dessous montrent la limite X de la suite en fonction du paramètre μ, la première dans le cas de la fonction logistique de Verhulst, la seconde dans le cas de la fonction d’Ulanowicz. On constate que l’allure générale est la même, avec toutefois une différence notable. Au lieu de démarrer à μ = 1, la courbe de la figure 2 démarre à μ = 0. Que cela signifie-t-il physiquement?
Les deux courbes correspondent à des modèles physiques notablement différents. Le modèle de Verhultz s’applique à une structure dissipative (originellement une société) dont l’organisation ne change pas, mais dont les ressources énergétiques diminuent. Le modèle d’Ulanowicz s’applique à une structure dissipative (originellement un écosystème) dont l’organisation évolue sans cesse et s’adapte à son environnement.
Il s’agit de deux conceptions radicalement différentes. La population de Verhultz ne se développe qu’en présence de ressources appropriées. Celle d’Ulanowicz s’adapte aux ressources disponibles. Le fait même de pouvoir s’adapter implique un rendement infini à l’origine (voir billet précédent). La population de Verhultz s’éteint lorsque ses ressources sont épuisées. La population d’Ulanowicz s’effondre dans la mesure ou elle ne s’adapte pas assez vite à d’autres ressources.
Le modèle d’Ulanowicz est clairement plus proche de la réalité. La fin du pétrole n’implique pas la fin de l’humanité. Elle implique un effondrement de nos sociétés actuelles dans la mesure où celles-ci ne développent pas assez vite de nouvelles ressources. On retrouve une fois de plus l’importance de la notion d’entropie par rapport à celle d’énergie. Une société ne s’effondre pas parce qu’elle épuise ses ressources en énergie mais parce qu’elle n’acquiert pas assez vite l’information nécessaire pour renouveler ses ressources, c’est-à-dire elle n’élimine pas assez vite l’entropie qu’elle produit [2][3].
[1] Nicolas Roddier (Tachysséma)
[2] François Roddier, dans Politiques de l’Anthropocène II. Économie de l’après-croissance, (Éd. SciencesPo). Chapitre 10: Pourquoi les économies stagnent et les civilisations s’effondrent.
[3] Jacopo Simonetta. The other side of the global crisis: entropy and the collapse of civilisations.