Dans mon billet précédent, j’ai mentionné les monnaies Yin et Yang de Bernard Lietaer. Je dois avouer que, lorsque j’ai donné ma conférence le 12 mars, je n’avais pas encore lu son livre (1). Je l’ai lu depuis et il a été pour moi une révélation: l’expérience confirmait le bien fondé de mes propositions. Voici en particulier ce qu’il dit (p. 212):
« Un système monétaire dual de nature Yin-Yang a fait ses preuves pendant plusieurs siècles en Europe pendant le Moyen-Âge central. Le corolaire est qu’imposer un monopole d’une monnaie Yang est peut-être plus efficace, mais le sera au prix d’une détérioration de la justice financière et de la stabilité sociale d’une société. » Durant mon exposé, j’ai montré que non seulement une monnaie complémentaire diminue les inégalités sociales, mais encore elle facilite les transitions économiques en évitant les effondrements brutaux.
Bernard Lietaer donne un second exemple de monnaie Yin, en Égypte. Son introduction correspondrait au passage de l’ancien testament dans lequel le pharaon rêve que sept vaches maigres dévorent sept vaches grasses. Joseph prédit que sept années de disette suivront sept années de prospérité et conseille au pharaon de mettre du blé en réserve, ce qu’il fit. Selon Bernard Lietaer, les reçus de ces dépots de blé auraient alors servi de monnaie Yin, évitant un effondrement brutal de l’économie.
Son livre a attiré mon attention sur la relation entre l’archétype Yin-Yang et le cycle de Carnot. On sait que le Yang correspond au chaud, tandis que le Yin correspond au froid. Considérons une machine thermique constituée d’un cylindre fermé par un piston. Associé au plein, le Yang correspond à la phase active pendant laquelle le cylindre se remplit de vapeur ou d’air chaud, tandis qu’associé au vide, le Yin s’identifie à la phase passive durant laquelle le cylindre refroidi se vide.
Ces correspondances sont d’autant plus remarquable qu’elles ont été faites à une époque où on ignorait tout des lois de la thermodynamique. Prenons, le cas de la convection (2). Deux forces opposées agissent, la poussée d’Archimède et la gravité. Le Yang correspond clairement à la partie ascendante du cycle durant laquelle la source chaude apporte l’énergie nécessaire aux forces d’Archimède pour effectuer un travail positif. Le Yin correspond à la phase descendante du cycle durant laquelle la source froide permet aux forces de gravité de l’emporter en refermant le cycle.
La correspondance est encore plus frappante, si on l’applique à la vie considérée comme une machine thermique fonctionnant entre une source chaude, le Soleil, et une source froide le ciel nocturne. En effet, dans la tradition chinoise, le Yang est associé au soleil et à la clarté tandis que le Yin est associé à la lune et à l’obscurité.
Le Yang est enfin associé à l’homme qui part le matin fournir un travail physique, tandis que le Yin est associé à la femme qui l’accueille le soir et le restaure. Étymologiquement, le mot restaurer signifie remettre en état. Traditionellement la femme entretient la maison, donc la remet chaque jour en état comme on restaure les conditions initiales d’un cycle de Carnot.
Enfin la femme met les enfants au monde. Elle assure la transition de phase entre un cycle de vie et le cycle suivant. De même les transitions économiques sont des transitions de phase entre deux cycles économiques successifs. C’est durant ces transitions qu’une monnaie Yin est indispensable.
(1) Bernard Lietaer, Au cœur de la monnaie, Yves Michel. Nouvelle édition (2012).
(2) Le mouvement de l’eau dans une casserole sur le feu.